Sa robe est pourpre et sale. A demi-nue elle fait l’effet d’un personnage de bande dessinée, Jane défraîchie au corps tanné, légèrement courbé. La poitrine est creuse sous le lambeau de tissu qui lui sert de robe. Elle n’a pas de canne mais sa démarche suppose la canne. Elle se déplace péniblement, mais le mouvement raide suggère la souplesse et le bond. Sous la robe sale, couvent des incohérences, des contradictions, des frissons de panthère malade.
Il est des entrées comme des orées. Je ne connaissais pas ce théâtre. Une place au balcon. Je crois que j’ai dormi. La lumière était douce et orangée. ll parlait. Il a parlé ainsi pendant une heure trente. Il lisait Proust. La salle tombait en poussière. J’aime aller seule au théâtre. La salle s’agite, les lumières s’éteignent. Puis les mains s’entrechoquent. Les corps se lèvent. Les conversations reprennent. La ville est différente. A croire que l’on n’a pas pris pour sortir le même passage que pour entrer. L’autre ville est bruissante d’un discours qui sourdement continue de s’écouler, traversée de ruisseaux intérieurs. Tout son, toute voix y prennent la qualité d’un murmure.
Parce que saoul la ville se dilue. Tu perçois dis, ce vertige de vitesse, une rue, deux rues, trois rues, des façades, des portails, dans l’air moite, le panneau de la rue, et puis la rue qui descend, c’est étonnant cette aisance du corps dans la nuit canicule, corps évoluant dans un corps, se sentir globule dans la masse palpitante du flux, sans à coup toutefois, le pas est fluide, enlevé, l’enchaînement des réverbères qui se succèdent, pas d’effort, une lumière, deux lumières, trois lumières, si fluide, spontané, en mouvement et pourtant, c’est comme percevoir la rue depuis la vitre d’un taxi, la côte, toujours la côte, ça grimpe ici, à mesure que ça monte la lumière s’étale, de grands nuages électriques au-dessus de la ville, tu es au sommet, la marche est si facile, ce ne sont pas des pieds mais des roues, tu regardes la pente, et tu t’élances, le long de la colline, le corps rond, le corps boule dévale et s’enfonce dans les moiteurs sombres du centre.
Il est maître de l’eau. L’eau dégouline en torrent dans le caniveau. Métro Jourdain. Je remonte le cours d’eau. Elle contourne les roues des scooters, prend de la vitesse, s’engorge et s’étale à nouveau par endroits en flaques larges et profondes, elle se fragmente en petites ondulations au passage piéton. Je remonte. Elle continue sa route. Devant le supermarché, un homme remplit un seau et nettoie le trottoir. Elle dévale encore. Elle vient de plus haut. Je mouille mes pieds par mégarde. J’arrive à la source. Le petit magicien fait monter l’eau en un immense geyser. Au sommet de la colline, la ville a trouvé son maître.
Bonsoir Marion
J’aime vraiment beaucoup tes lanceurs et surtout les histoires qu’ils suscitent !
Un grand merci à toi !!
Merci Fil!
Formidable ce sens du rythme qui nous saisit, nous emmène.
Et merci pour ces images « des frissons de panthère malade. », « Il lisait Proust. La salle tombait en poussière. »
Merci Michael, il s’agit des bouffes du nord 🙂
Eh oui, ça jaillit ! Même saoul, ça ne vacille pas trop… ça jaillit et c’est sans doute dans le temps de suspension que tout s’éclaire…
Merci tout ceci n’est qu’un prétexte pour afficher le petit magicien de la Place des Fêtes et son immense jet d’eau 🙂
Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours