Derrière chaque porte.
surfaces en bois de forme rectangle avec poignée ronde et heurtoir en bronze | panneaux forgés et par endroits piqués de rouille | portes anciennes, portes délabrées, portes de garage, portes à deux battants, portes pleines ou avec fenêtre intégrée aux vitres brouillées | celle-ci par exemple qui donne dans une cuisine ou une petite salle à manger | en passant dans la rue autour de midi, on entend des voix et le bruit des fourchettes qui choquent la faïence des assiettes | oui, cette porte au milieu de la rue Blanche, repoussée à son maximum d’ouverture en été, équipée d’un rideau en perles de buis pour empêcher les mouches d’entrer | conversation hachée entre bouchées de nourriture, odeurs de viande grillée, tomates à la croque-au-sel | on saisit quelques mots à la volée | ça parle des événements récents, du feu à Bessèges, de la marche du monde
Un endroit idéal pour se cacher.
route qui prend au sortir de la place aux platanes par le pont sur la Crenze puis emprunte le couloir sombre entre bâtiments jusqu’à la Placette qui conserve toujours pas mal de chaleur avant de bifurquer vers une autre ruelle | fonce vers le Nord dans le sens du vent | atteindre les dernières habitations et longer les jardins | dépasser le pont du jardin des Horts | serpenter haut tout un moment dans cette zone où la rivière a creusé profond et dépasser le mas curieusement bâti | prendre juste à gauche ce raidillon empierré, assez glissant quand il pleut | tout au bout, au terme d’un quart d’heure de marche, fouiller la végétation à la recherche de grottes, mines abandonnées depuis pas mal de temps, petits endroits parfaitement à l’écart habités pendant la dernière guerre par les résistants cévenols
Les bêtes sont parmi nous.
traces de toutes espèces dans le corps des jardins | empreintes en bord de rivière dans les zones boueuses jusqu’au pied des maisons | branches cassées | cailloux récemment brassés | petits amas de déjections séchées d’origine mammifère | brindilles éparpillées | monticules de terre fraîche dispersés dans le champ, indices de vie souterraine | vrombissement au-dessus des sauges | battements colorés du côté des fleurs vivaces en épis | rumeurs de sous-bois | feuilles de roquettes toute piquées de points blancs, bonnes à arracher, peut-être grignotées par des anges
La rumeur de cette terrible multitude.
ça gronde loin, ça vient de par-dessus les versants forestiers, les falaises en voie de dolomitisation, les roches en équilibre, les ponts du XVIe franchissant les abîmes pour rallier les zones habitées, ça gronde dans les défilés d’ombre qui procurent des sensations inquiétantes parce qu’on se souvient — c’était il n’y a pas si longtemps (l’accident) —, ça agite les eaux vertes au creux du paysage et aux plis secrets du corps , ça effraie les oiseaux nichés derrière les chutes qui n’apprécient guère les foules, ça remonte le cours des chemins jusqu’aux sources et aux fontaines des villages où l’eau coule maigre à cause de la sécheresse, ça enserre au front, la canicule, la peur du feu, ça ronge au ventre, ça embouteille à l’abord des rétrécissements, il faut observer le cours et la force des vents dominants pour ne pas se faire piéger, les fumées qui montent loin, les amorces dans un taillis de rien, ça gronde et ça s’entend de tous les coins de la vallée, ça obsède, hélicoptères en tournée de surveillance, terrible multitude aveugle qui s’entasse, fait le dos rond, ne veut que profiter des plages de la rivière sauvage, ça sature sur la bande-son et sur la planète, ça parasite, effet Larsen, terminé
Ton corps est fait pour bouger.
Tu ne sais pas si ça va continuer longtemps comme ça, si ton corps va continuer à bouger marcher traverser ces journées saisies de bleu et de chaleur, s’il ne va pas te lâcher pour une raison ou pour une autre, tu ne sais pas si les mots vont continuer à couler à l’intérieur et glisser jusqu’au bout de tes doigts, se poser sur l’écran pareils à des papillons qui dessinent la géographie des massifs et des couronnes d’arbre, dessinent l’espace des pages, l’espace d’un livre à venir qui raconterait ce lieu construit à la confluence des rivières, entre versants abrupts et austères comme on en trouve dans ce curieux pays qui n’est pas le tien mais qui peu à peu le devient à force d’y vivre, ton corps est fait pour bouger libre et heureux, ton corps appelle à l’éclatement des sens et l’explosion des sèves, ton corps parle doux ou fort, c’est selon, ton corps grimace dans l’effort quotidien, ton corps accroche le flux, la vibration sensible qu’il partage avec la voix des autres au loin qui écrivent aussi de toutes leurs forces et ébauchent des chemins à travers des villes, tu ne sais pas ce qui arrivera si la fatigue te prend, ou l’ennui ou le désespoir […]
(l’avant-dernière m’a fait penser à Helena qui écrit avec des odeurs de bois brûlés non loin, par là…) (j’ai beaucoup aimé la photo) (merci à toi)
merci pour ton passage qui m’encourage…
pas beaucoup de temps, pas pu faire la proposition d’hier… tant pis, j’ai sauté une case et je m’accroche pour continuer
je m’accroche au jour, aux mots
je m’accroche à cette magnifique proposition qui pourrait nous faire écrire un livre entier, continuer à rechercher la cohérence…
merci Piero
Superbes ces trois textes que de très bonnes idées et d’accord avec Piero pour la photo
merci Patrick (touchée)
peu de temps mais je m’en vais vous lire, vous les proches en attention, tout à l’heure…
Splendide exploration continue-discontinue de tes paysages cévenols.
Tu bâtis un ouvrage à chacune des propositions. C’est beau et c’est humain.
Encore une fois un grand merci Françoise !
j’essaie de tenir le fil et d’accumuler des matières, je traque un peu de cohérence même si parfois j’aimerais m’enfuir ailleurs
il faut savoir être persévérant dans une direction précise, ça porte des fruits…
merci Fil pour ton retour
Superbes tes textes, mais surtout le premier m’a beaucoup touchée. Ces brins de vie que l’on attrape au passage, qui nous relient à l’humanité, qui nous rapprochent des autres, puis multiplier ces gestes à travers l’écriture. C’est très beau !
ce premier fragment m’est venu brusquement en me déplaçant avec les mots dans la ruelle, d’un coup le souvenir de ces bribes de conversation surgies d’une porte de cuisine…
allez, on continue… et on continue aussi à se rapprocher !
quelle prouesse vertigineuse du style
le rythme est très très dense et rapide, et ces stigmates de passage des bêtes, et la progression vers la rumeur… tout un orchestre !!!
on ne s’en rend pas compte quand on écrit… on se concentre et on publie
ces commentaires croisés sont riches et font du bien à l’âme, nous donnent le souffle, nous font partager encore et encore à chaque proposition
(attention, on va être accro !)
et tout se rassemble dans ce corps qui interroge . Ce corps regard main qui nous guide invisible par les chemins.
ton regard toujours si proche de ma vision…
Très belles ces clés d’entrée
le mot clé d’entrée est parfait
c’est vrai que ces mots ou groupes de mots fonctionnent comme des clés qu’on glisserait dans des portes ouvrant sur des univers attendus…
étonnant vraiment (j’ai trouvé cet exercice très puissant…)
Oui, la 30 aurait permis une envolée si on décidait de lâcher la bride dans cet atelier. Je te lis Françoise avec le regard de quelqu’un qui écrit aussi et qui s’interroge sans passer par la technicité factice de celles et ceux qui en veulent toujours plus pour mieux trier et faire leur marché.
merci pour cette simplicité d’approche et cette vérité
merci Marie Thérèse