Un jour il n’y a plus les hommes. Les humains on disait. La terre désertée. A Venise à nouveau les dauphins. Les hérissons traversent les routes. Les moustiques volent nostalgiques de la vie dangereuse et des pare-brise impromptus. Ils sont partis. Ils ont laissé derrière eux les traces… A la veillée, A Saint-Ouen, dans une vieille brocante poussiéreuse, animaux, insectes, plantes et arbres, tout le règne végétal, tout le règne minéral, et tout ce qui règne, a régné, ou un jour régnera au premier chef les araignées, tout ce monde là se réunit autour des traces, des artefacts.
Ils nous ont peint, ils nous ont sculpté, qui d’autres désormais peindra, sculptera dans ce monde là ?
La mode, l’innovation artistique, l’innovation scientifique suivent des processus d’émergence, de diffusion, d’amplification, d’extinction, de mutation qui nous échappent. En Afrique, en Asie, en Europe, le fond des grottes est semé de mains négatives, de dessins d’animaux dont le tracé répond à des processus de figuration extrêmement similaires sur des milliers d’années. Comment se parlaient-ils, comment communiquaient-ils ? Essayaient-ils de communiquer avec nous ? Quel mode transmission entre individus, quel fonctionnement de la pensée ont-ils pu donner naissance à ces mouches de métal ? A quoi servait cet objet ? Sur une étagère, la carcasse artificielle d’une mouche de laiton large d’environ dix-huit centimètres luit avec douceur.
L’Araignée dit : c’est une coalition des hommes et des mouches pour nous renverser. Il est évident qu’il s’agit là d’un exosquelette de mouches. Les hommes ont disparu avant ce nouveau règne. Les mouches ont été défaites. Mouches baissez la tête devant vos seigneurs et maîtres. Mouches soumettez-vous à l’Araignée.
Ils nous magnifiaient. Qui ? Qui pour nous dessiner aujourd’hui ?
Le Chien secoue la tête. Chez eux les signes redoublaient la vie, les signes redoublaient les signes. Tout était affaire d’interprétation. Tout était ambigu. Tout était métaphorique. Nous, nous disions, non, tout est affaire d’odeur. Il faut sentir, il faut renifler. Des milliers d’années se sont écoulées, les fresques sur les parois n’ont plus d’odeur. Ils avaient peur, tout le temps peur, ils ne savaient pas abaisser leurs oreilles, ils avaient peur alors ils nous ont adopté. Nous étions de grands phares dans la nuit. Ils nous magnifiaient.
Araignée ne te sens pas si noble. Pour l’homme, nous étions le feu. Araignée baisse la tête devant le Chien.
Dans la vieille brocante encore toute illuminée par une électricité inutile, le règne animal, pensif, incline la tête et se souvient. Le règne végétal ne bouge pas, ne dit rien, songe à son ancienne gloire, observe dans un coin de la pièce d’autres signes donnant à voir les aspirations secrètes des hommes et l’objet de leurs anciennes amours. Le règne végétal ne dit rien mais n’en pense pas moins…
Soumets toi règne animal, nous étions là bien avant nous serons là bien après. Nous étions chéris des hommes qui se reposaient entre nos branches, se nourrissaient de notre suc, construisaient leur maison avec nos troncs, chantaient nos ramures.
Rien à voir avec la consigne... enfin pas tout à fait... A force de chercher une lampe sur le bon coin, je tombe sur les objets les plus kitsch qui soient, je me suis demandée comment les mettre en catalogue. Est venue je ne sais trop pourquoi cette idée d'une assemblée du vivant et du minéral nostalgique des hommes et prêtant des origines mythiques à des objets oubliés dans une brocante. La mouche cendrier en laiton me fait rire depuis maintenant un mois. Je ne peux m'empêcher d'imaginer en effet qu'il s'agit d'un exosquelette de mouche pour envahir le monde, voire conquérir d'autres planètes, un peu comme ces anciennes inventions ratées aux débuts de l'aviation. Malheureusement, il ne s'agit pas là de raconter les échecs des mouches pour régner sur le vivant. Peut-être simplement me plonger rêveusement dans Terry Pratchett plutôt que contourner les consignes de l'atelier...