Mais comment acheter oui comment acheter l’objet qui le maintiendra, l’enfermera, l’empêchera, lui, l’enfant qui ne marche pas encore, comment avoir chez soi l’objet qui permettra à sa mère de vivre, d’écrire, de préparer ses cours, de respirer sans la crainte au corps qu’il ne se blesse, exister sans son corps relié au sien si fort qu’on le croirait habité par autrui, vider de soi qui aurait déménagé, serait parti sans laisser d’adresse comme désertion définitive. Un objet pour empêcher le corps du petit de traverser le mur du corps de sa mère. Ca s’appelle un parc. Comment l’acheter ? Ce sera par internet. Sans marcher dans la ville surchauffée, juste cliquer, mais avant il faut choisir, indisponible celui qu’on veut après avoir lu toutes les notices, comparer les dimensions, décidé qu’il doit se replier sinon impossible de le déplacer du salon à la chambre et même au balcon, enfermer l’enfant oui, mais pas le laisser seul avec soi effacé à son regard, non il pourra voir sa mère, mais juste cela et rien d’autre, lui pourra pousser quelques vocalises en espérant que machinalement sans lever la tête elle réponde à sa ritournelle, ou rugira en retour, le nouveau truc qu’il a appris depuis la visite de sa grand-mère, quelle utilité pour un bébé humain de rugir comme un lion, un monstre, un attardé mental, et peut-on être déjà sûr qu’il ne l’est pas, handicapé, l’aimer quand même bien sûr, mais pour le moment l’important est de le tenir à l’abri de lui-même ou de tout ce qui traîne ici et là dans cet appartement, et d’un prix qu’on voulait mettre au départ, avec le modèle pliable et peintures résistantes à la salive de bébé on a atteint trois fois la somme pour le trouver disponible et la livraison en sus on atteint des sommets pour un an de tranquillité, la tranquillité a-t-elle un prix, il aurait fallu y penser plus tôt, te voilà parent unique et à perpétuité, tu crois entendre ta mère, même quand elle n’est pas là, parce qu’elle ne sera plus là, tu devras te débrouiller seule avec les maladies enfantines et les réunions après l’école, et tes migraines à chaque fin de journée, et quand tu veux cliquer sur un autre modèle de parc un peu moins cher qui arriverait à temps qui serait quand même pliable, tu t’étais même levée, avais trouvé ta carte bancaire, avais cliqué sur l’endroit proche où te serait livré l’objet encombrant, et tu tapes et tu tapes et rien ne bouge plus à l’écran et toute la soirée ce sera pareille, tu voudrais traverser l’écran pour aller leur dire ta colère, tout ce précieux temps perdu pour rien, leur dire en face, qu’ils voient qu’il y a de l’humain derrière cet achat, des vrais gens avec une horloge devant le nez, être à l’heure à l’école, être à l’heure pour la baby-sitter, le quart d’heure entamé sera payé, mais pas déduit celui où sa présence ne sera plus requise à votre retour, déclaré c’est 25€ de l’heure, ça fera une déduction d’impôts de 50% en fait, donc en réalité c’est moitié prix, sauf si bien sûr, pas d’impôts, pas de mari avec un gros salaire ou une entreprise, tu cliques, tu cliques, et toujours rien ne bouge, tu as le temps de penser à ta responsabilité dans la disparition de la terre.
j’en ai un à vendre ! et un lit d’enfant marque IKEA rangés au grenier depuis l’enfance du premier petit fils (il a 15 ans); aucun enfant n’en a voulu depuis !
Ah oui, la vie de mère et ses délices… On oublie si vite, les achats pour les enfants se sont bien compliqués. Enfin, tout y est ici. Cela dit, le parc, ça les fait hurler non?
Oui, on est d’accord, le concept les fait hurler ! Merci de ton passage, Catherine.
C’est tellement juste… oui, mon fils a souvent été trimbalé dans son parc, jusqu’à Brindisi !! on prenait les trains de nuit, il dormait dedans, il aimait aussi la posture debout à jouer avec les passagers, quand on se remettait à marcher, il se repliait derrière la poussette, ça faisait parasol, dans les escalators les gens nous photographiaient, on en a fait des kilomètres et des villes… merci beaucoup Anne pour tout ce texte, et cette revendication que je partage !!
Je constate que ce sujet en intéresse plus d’une. On pourrait s’y mettre à plusieurs on dirait. Merci, Chère Françoise, de ta lecture et de ton extension à mes élucubrations.