Te souviens-tu d’elle ? Des reflets de ses cheveux ? Du timbre de sa voix ? Te souviens-tu de cette époque-là ? De celle-là et des autres ? De ma grand-mère, de ma mère ? As-tu croisé grand père ? Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ? M’a-t-on tout caché ? Qu’est-ce que je ne sais pas ? Je ne sais rien ? Je n’ai jamais questionné ? J’étais trop jeune ? Trop voyageuse ? Je ne m’intéressais pas au passé ? Étiez-vous du même âge ? De la même année ? Vous êtes-vous revues ? Perdues de vue ? Combien d’années ? Combien de distance entre vous ? L’as-tu vu mangé et rire ? Avez-vous ri ensemble ? On riait à cette époque-là ? De quoi viviez-vous ? Du S.T.O ? D’un travail de blanchisseuse ? Ah oui ? Et elle, ma grand-mère ? Pourquoi ne jamais me parler de lui, mon grand-père ? Faisiez-vous le jardin ? Pour le marché noir ? Vous visitiez la famille à la campagne pour vous nourrir ? Avez-vous tout oublié après la guerre ? Qu’avez-vous mis dans votre valise ? Un pyjama d’homme ? Une chemise de nuit ? Un cahier ? Un livre ? Lisiez-vous ? Pourquoi n’y a-t-il pas trace de vous aux archives de la prison ? Et elle, ma grand-mère, qu’aimait-elle ? Et elle, ma mère, riait-elle ? Me prenait-elle dans ses bras pour marcher dans la rue, descendre les escaliers, avancer, sautillez ? Me couvrait-elle de baisers aspirés ? Et vous, me portiez-vous jusqu’au fond du jardin, au fond du poulailler, au bord du ruisseau, près du tas de foin, dans l’allée des fraisiers, à l’orée du bois ? Vos cheveux ont-ils toujours eu ce blanc lumineux et votre peau l’odeur de poudre de riz ? Ma grand-mère portait-elle déjà ma mère au creux de son ventre ? Avez-vous eu des enfants ? Vous n’avez pas pu en avoir ? Me reconnaissez-vous ? Jai le même regard ? C‘est bien cela que vous me dites ? Le même regard qu’enfant ? Le même regard que ma mère ?
Est-ce que l’on peut étirer le temps ? Ai-je assez de temps ? Elle est partie trop vite. Elle avait toujours le temps. Est-ce que je peux étirer le temps lorsque je marche pied nu dans la terre, lorsque je fais la planche au milieu des vagues ? Est-ce qu’il faut habiter à la campagne, ne rien prévoir ? Il dit qu’il vit au jour le jour, qu’il n’a plus rien. Elle a tout vendu, ses meubles, ses livres, ses vêtements. Elle n’a gardé que le stricte nécessaire. Elle vit dans un camping-car. Elle dit qu’elle a le temps de parler aux gens. Quel est mon stricte nécessaire ? Chaque objet est souvenir. Est-ce que quelqu’un déroulera mes souvenirs ? Elle a rangé sa vie dans des valises, sur ses étagères. Tout sera jeté. Quelqu’un a ouvert les valises. Quelqu’un remonte l’arbre généalogique. Est-ce que je ressemble à l’un de mes ancêtres ? Est-ce que je pense comme lui ? Est-ce que je soutiens l’arbre ? Doit-on ressembler à sa mère ? Ne ressembler qu’à un côté de l’arbre ? Elle faisait tout au dernier moment. Pourquoi certains guérissent et d’autres pas ? Pourquoi abandonner ? Est-ce que quelqu’un appui sur un bouton pour tout éteindre ? S’éteint-on ? Je la vois voler au-dessus des maisons blanches ? Pourquoi appréhender à poser des questions ? Pour qu’il existe encore des secrets ? En écrivant, dévoile-t-on les secrets ?