Est-ce que ça t’arrive encore de dériver ? Tu l’as fait, non ? Le quartier est fait pour ça, non ? Tu connais bien les boulevards ? Tu connais bien les rues ? Les villas ? Les passages ? Les impasses ? Les chemins de traverse, tu les connais ? Est-ce que tu as déjà pris des parcours cachés ? Ça t’intéresse plus ? La dérive, c’est psychogéographique, non ? C’est toi qui voulais, au début, pas vrai ? Maintenant tu ne voudrais plus ? Tu préférerais ne pas ? Qu’est-ce qui te gêne ? Tu vas pas le dire ? Tu voudrais rester en retrait ? C’est bien toi qui m’avais parlé de Debord ? Il y a un moment, n’est-ce pas ? T’as déjà dérivé tout seul ? Est-ce seulement possible ? La dérive, ça se fait à plusieurs ? C’est pas ce que tu m’avais dit et répété ? Tu voudrais pas que je t’emmène ? Ça te gênerais si on partait dans le quartier ? Tu as déjà cherché ? Tu as déjà trouvé ? Des points d’inflexion ? Des haltes imparables ? Des détours organisés ? Tu ne le diras pas, c’est ça ? Et les passages hâtifs ? Et les ambiances variées ? Tu ne veux plus renoncer aux raisons habituelles de te déplacer ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as perdu l’intérêt pour te perdre ? Pour réguler ta perte ? Et si on sortait du quartier ? Tu le connais trop ? Et si on partait une heure à l’est ? On traverserait pas des unités d’ambiance ? Des zones de climats psychiques tranchés ? Tu crois pas qu’on s’arrêterait dans des lieux prenants ou repoussants ? On pourrait peut-être créer une cartographie rénovée ? Faire un compte-rendu à chaque fois ? Ça te dirait ? Tu l’as trop fait ? Tu ne veux plus. Tu ne bouges plus. Tu es scotché ? Tu préfères boire seul ? Ne plus sortir ? Fini les petits bars émouvants ? Fini les jeux devant les plans de métro ? T’as mal aux pattes ? Tu t’encroûtes ? Tu ne veux plus rien faire ? À part te souler seul dans ton gourbi ? Chercher ta désorientation solitaire ? C’est ça ta situation affective choisie ? Elle est pâle, tu ne trouves pas ? Non ? Ça a l’air de t’aller comme ça ou pas ? Tu vas tout me dire ? Je ne suis pas ton ami ? L’amitié, tu t’en fous de tout ça ? C’est ce que tu penses ? Non ? Alors ? Tu peux tout me dire, tu ne crois pas ? Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu ne veux plus qu’on parle de dérive ? Tout ça te paraît vain ? Pourquoi tu refuses le quartier ? Tu ne l’as pas aimé à la folie ? Il n’y a pas si longtemps que ça, pas vrai ? Ah bon, ça fait longtemps ? Depuis quand ? Tu sais plus ? Tu ne veux plus avoir de mémoire ? Qu’est-ce qu’elle a, la mémoire ? Elle te fait souffrir ? T’as mal ? C’est quoi ton délire de sur-place ? T’es coincé dans ta piaule ? Qui t’empêche de sortir ? Tu préfères t’accrocher à ton avant-dernier verre ? C’est le verre perpétuel qui te tient ? Allez, tu vas arrêter de faire le con ? Tu te couvres, tu ne t’habilles plus ? Quoi ? C’est pas la peine ? Tu me fais marcher ? À propos, si on allait marcher un peu ? Juste cet après-midi ? T’es réveillé maintenant ? On irait au terrain vague ? Ça te plairait de prendre le toboggan ? Combien de temps que tu l’as pas fait ? Tu penses qu’il s’agirait d’une dérive ? T’as pas l’impression de te tromper ? Tu refuses juste une petite promenade ? Tu n’es pas bien ? C’est trop pittoresque ? Tu délires ? Si tu lâchais ton verre et ta bouteille ? Si tu venais avec moi ? Ça suffirait pas de prendre l’air ? Ça serait peut-être un bon début ? Tu ne crois pas ? Tu voudrais qu’on revienne vite ? Pourquoi pas ? Allez, viens, tu veux ? On y va ? Tu es prêt ? Tu ne trouves plus tes chaussures ? Tu as regardé contre le matelas ? Sous la table ? C’est pas tes chaussures, là-bas ? Dans l’entrée ? Allez, tu veux bien me faire plaisir ? Tu feras attention en marchant ? Tu veux qu’on aille boire un coup ? Chez Smaïl ? À L’Épatant ? T’es bien accroché ? Tu veux t’appuyer ? Tu ne veux plus jamais entendre parler de dérive ? Tu comptes les marches ? Tu vas arriver en bas ? Tu vois que c’est pas difficile ? Tu t’en rends compte ? Tu veux que je promette qu’on reviendra vite ? Tu vas oublier l’époque Debord ? Tu crois que ça me dérange ? Pourquoi je serais dérangé ? Je ne t’ai pas toujours laissé faire ce que tu voulais ? Allez, tu me suis ? Tu ne préfères pas aller devant ? Non ? C’est pas difficile de me suivre ? Si ? Tu préfères que je ralentisse un peu le pas ? Tu vois bien qu’on n’est pas partis pour une dérive ? Non, tu vois pas ? Tu as remarqué qu’on est juste dans le quartier ? Tu n’aimes pas qu’on se balade ? Non ? Alors on dirait qu’on va juste chez Smaïl ? Ça te va ? Tu vois là-bas l’enseigne de L’Épatant ? Qu’est-ce que tu vas boire ? Tu sais pas ? Tu verras ? Tu veux rentrer ? Quoi ? Et si, moi, j’ai envie d’un verre ? Qu’est-ce que tu dis de ça ? Salut Smaïl, comment tu vas ? Tu nous sers deux mauresques, s’il te plaît ? Voilà, t’es content ? Tu ne veux pas qu’on aille plus loin ? C’est d’accord qu’on n’est pas en dérive ? Oui. Après. On rentre. Chez toi. C’était. Juste. Un aller-retour. Bois ton coup. À la fin et à la mort de la dérive !
Poignant ce texte, cette déambulation, cette dérive dont on ne sort pas indemne. Merci Fil
Merci Marie pour ton retour ! Il me fait très plaisir !
tu es sorti de ta zone d’exploration, de tes mots uniques suivis d’un point. Là des petites phrases, oui on peut le dire des phrases urgentes, répétitives qui nous entraînent dans la spirale de l’histoire
j’ai été happée par celle-là, par sa terrible musique : « À part te souler seul dans ton gourbi ? »
et son sens ne m’a plus quittée…
merci Fil pour cette émotion
Merci Françoise pour ton message !
Les personnages sont nés directement des questions qui s’enchaînaient. C’est vraiment venu tout seul, au fur et à mesure.
Merci encore !
Je vois un diable sur une épaule, le diable est sympathique, le personnage touchant, bravo.
Oui Laurent, c’est bien trouvé ! Je viens de relire le texte… et c’est vraiment comme ça : la tentation un peu vicieuse de l’un et le renaclement embrumé de l’autre !
Merci pour cette lecture originale !
Oui à la cartographie rénovée !
Merci Olivia ! Oui aussi à la construction de situations !
arpenter toujours, et la ville bruisse de ses matières, de ses couleurs, de ses chocs, de ses strates Et la voix de louvre les phrases avec ses questions, son inquiétude, sa main tendue
Merci Nathalie pour ton message !
Oui, la ville est infinie !
Fil, au fil du rasoir, mais trop trop réussi, comme ces questions te font un habit de moine, ouahhhhh, je t’imagine tapant les points d’interrogation et tu sais quoi ? je rigole, besos amigo !
Merci infiniment, Cat !
Oui, un point d’interrogation en entraînait un autre, et se tissait le fil en dépit de moi. C’est vraiment venu tout seul !
Bises à toi aussi !!
Je vois que ça boit aussi de ce côt- ci. C’est terrible ces questions intrusives, moralisatrices et en même temps amicales et peut-être imbibées… Merci de ce texte
Oui, on ne sait pas vraiment si c’est du lard ou du cochon ! Et puis les deux personnages sont en effet peut-être imbibés…
Je t’avoue que les personnages ont pris l’ascendant sur moi !
Merci pour ton retour bien vu !
Se laisser emporter par l’intensité de votre texte et ne pas en sortir indemne. Merci
Là vous avez un exemple d’un changement dans la manière d’écrire. C’est la consigne qui voulait ça.
Merci à vous Danielle !!