Mais qu’est ce qui s’est passé ? pourquoi vous vous êtes arrêtés là, dans ce parking qui ne ressemblait à rien ? c’était quoi votre idée ?
Rien qu’une nuit au bord de l’eau.
Ah c’est ça, vous dites rien qu’une nuit ! il y a pourtant des raisons profondes aux choses, vous ne croyez pas ? il y a le destin qui pousse derrière, qui pousse vers l’aval, c’est une évidence. Comme tous les autres, vous le savez bien n’est-ce pas ? on ne vous a pas menti là-dessus mais pourquoi vous avez insisté ? pourquoi ?
C’est vrai qu’au début on voulait juste prendre un bain et puis s’avancer plus loin. La magie sans doute.
La magie ! Ah voyez ça, et vous croyez vous en tirer comme ça, à bon compte, en évoquant la magie du lieu et compagnie. Il s’agit d’autre chose et vous n’êtes pas dupes là-dessus. Il vous fallait sans doute une bonne leçon non ?
On ne s’attendait pas à ça… on aurait dû…
Bien sûr qu’on ne sait pas ce qui va arriver dans la seconde qui suit, mais vous auriez pu ouvrir les yeux, ou plutôt les lever pour observer la topographie, imaginer les dangers, réfléchir à deux fois avant de vous installer, vous auriez pu anticiper. Vous n’avez pas de falaises par chez vous dans l’Yonne ?
Pas de falaises, non, on n’a pas, enfin pas comme ça…
En tout cas on ne se gare pas sur un front de mer quand on annonce la tempête du siècle, et on ne se gare pas au bord d’un précipice non plus, c’est tendre la main au destin, ça. Et maintenant ça chouine,.. Ah c’est sûr que des événements pareils ça bouleverse et ça vous empêche longtemps de dormir. Mais qu’est-ce que vous étiez allés faire là-bas tous les deux ? Des vacances pour qui pour quoi, on se demande. Vous auriez dû vous méfier, dresser les oreilles. Le monde est plein de dangers, on vous le dit tous les jours à la télé… et puis il semble que vous étiez retournés sur vos pas au départ, vous vous en souvenez ? vous aviez peur d’avoir oublié une fenêtre ouverte ou de ne pas avoir enclenché l’alarme. C’était un signe, sans doute qu’il ne fallait pas partir, qu’il fallait repousser la virée. Pour aller chercher quoi, hein ? du bon temps ? des amis ? Vous en avez à revendre du bon temps à Courson-les-Carrières, et des amis aussi, et des tas de rivières, vous y vivez depuis quarante-cinq ans, vous y avez même célébré votre mariage… Et voilà que maintenant on dirait qu’elle va nous faire un malaise… c’est parce qu’on parle de mariage, c’est ça ? ça vous fait venir des larmes ? Bon d’accord on peut comprendre, elle est encore drôlement secouée.
Non mais c’est terrible vous savez, comme ça d’une seconde à l’autre, on ne peut pas y croire, c’est terrible…
Calmez-vous, ça va aller, un sacré choc bien sûr, mais aussi une sacrée leçon. Vous allez faire quoi maintenant ? Impossible de gommer ce qui est arrivé, on est en colère, s’en veut terriblement d’être impuissant et on tourne de drôles de pensées dans sa tête de vivant… Alors vous allez faire quoi ?
En fait c’est lui qui avait voulu rester, moi j’aimais pas trop, c’était vraiment sombre quand le noir a commencé à venir, et même inquiétant…
Tiens, en voilà une bonne méthode, accabler l’autre, toujours de la faute de l’autre… ah ah c’est bien pratique… et voilà qu’elle tourne le dos et qu’elle appelle sa fille, faut toujours qu’elle appelle sa fille quand ça ne va pas, quand elle est à bout, quand il lui manque un mot dans ses jeux croisés, quand elle s’est disputée avec lui… il n’y a pas d’issue, le drame est arrivé, de toute façon il n’y avait rien à faire. Rien à faire pour le type non plus. Vous dites que vous n’êtes pas prêts d’oublier ? La tôle écrasée, l’éboulement insensé, les pompiers, tout ça. On comprend bien… un événement hors temps, personne n’a pu filmer et pas grand-chose à rapporter finalement sauf que le type est mort et qu’il valait mieux ne pas se trouver dans les parages quand c’est tombé comme une avalanche. C’est comme pour les tremblements de terre, on ne peut savoir le moment précis où ça va secouer… Allez, faut la consoler maintenant, allez-y, prenez-la dans vos bras voyons et caressez-lui la tête, oui comme ça… et regagnez vos pénates à Courson, y’a plus que ça à faire…
La suite du fait divers, vu sous un autre angle. Un peu plus inquisiteur (c’est les questions qui veulent ça).
Très beau texte, quoi qu’il en soit !
Merci Françoise !
oui, autant rester dans la même scène…
forcément plus décapante à cause de la forme proposée (je me suis un peu retenue…)
merci Fil pour la trace de ton passage
Les questions travaillent les consciences; bravo;
les questions apportent de la rudesse, de l’ironie… pas voulu quand même être trop vache avec ces gens, les pauvres…
Ça respire la nature humaine dans sa simplicité. C’est plein de fraîcheur et de franchise. C’est plein d’humanité.
merci pour ton écho qui contrebalance l’ironie dont je redoutais la verdeur
comme quoi, chaque lecteur fait sa soupe à sa façon…
Je reviens vers ton texte que j’avais déjà lu ce matin, parce qu’il soulève des questions (:)), celles que tu poses et celles qui émergent de ce personnage qui met le doigt dans la plaie (expression que l’on emploie ici) pour accentuer le sentiment de culpabilité du couple qui a appris sa leçon de la pire façon possible. Puis, il se resaissit, comprend qu’il a exagéré et s’adoucit. La mort de quelqu’un fait trembler nos balises qui ne nous montrent en fait que des chemins faciles. Cela ferait un très beau conte !
Plusieurs facette toujours aux histoires. L’ironie parfois délie les drames. Parfois je me demande comment tout apprendre à mes enfants. Leurs éviter les drames. Si vite, l’inattention, le plongeon dans le moment, l’absence de peur, de prudence. Un ami a perdu une proche, pres d’une falaise, la mer haute trop pres, elle est tombée c’est faite avaler, noyer. Elle avait 20 ans. Evidemment on se dit qu’on sait mieux qu’on aurait du mais c’est toujours après qu’on se dit… Vaste réflexion qu’ammène ce texte.
merci J de ce retour émouvant… oui ça secoue aux entournures, ces « accidents » à propos desquels on dit qu’ils auraient pu être évités, et pourtant c’est arrivé…
quelle prudence recommander ?
en, même temps bien peu de probabilité de se prendre un arbre sur la tête en traversant une forêt si on réfléchit bien, mais ça peut être une piqure d’insecte venimeux, une attaque de fauve, allez savoir
le réel nous soumet et nous oblige à l’attention de même que nos ancêtres du temps de Lucy qui pourtant ont survécu, sans doute avec la peur au ventre…
Dans la continuité. Creuser, avancer. Et Faire naitre le roman.
oui creuser le sillon même si j’aurais bien envie de faire ci et là des incursions ailleurs, mais plus profitable d’insister, d’en remettre une couche, de profiter de cette enfilade de propositions qui nous entraîne toujours plus loin…