#40jours #27 | ce que le corps en garde

Est-ce que la nuit elle entend le bruit du train ? Est-ce que la nuit son corps compense le roulis ? Est-ce qu’il peut se laisser aller ? Abandonner la partie. Est-ce qu’il aspire à quelque chose qui toujours se dérobe depuis qu’elle a accepté ce poste ? Est-ce que le pantalon noir sur mesure et trop serré comme elle le voulait ou alors le pantalon noir c’est le sien qu’elle avait déjà avant d’être embauchée et être très serrée dedans c’est juste une façon de tenir ? Tenir droit ? Tenir debout ? Est-ce que ses yeux voient ? Voient les gens, voient vraiment ? Ou juste ils effleurent pour retenir le moins possible ? Ne rien laisser entrer d’eux en elle ? Garder quelque chose intact comme une part secrète. Est-ce que la nuit ses mains froissent les draps avec la sensation des gants qu’elles ne portent plus ? La peau restée bloquée là dans le souvenir du contact des gants ou du grand sac en plastique qu’elle ouvre qu’elle referme de voyageur en voyageur. Et dire la couleur de la peau ce serait discriminatoire, mais tout le monde peut le lire entre les lignes. Celle sur la plage du nord c’est même métier sans le roulis du train, est-ce moins dur au grand air ? Ou est-ce mieux de voyager éternellement pour n’aller nulle part que revenir au point de départ et dormir chaque nuit chez soi au 24 ième étage de la tour de la cité. Est-ce autre chose qu’être le petit fantôme avec son pyjama de squelette déguisement d’Halloween ? Est-ce qu’il y a un « je » possible dans ces fragments écrits dans l’urgence ? Est-ce que tu sais qui parle ? Quel lien entre tous ces morceaux de texte et pas le temps de choisir un thème et de le nourrir, juste écrire vite et pour cela prendre le premier sujet qui vient et tant pis si c’est une fois à propos de la maison au bord de l’eau, une autre à propos des morts et des cimetières, une avec un « je » qui traverse les murs, mais écrire n’est-ce pas forcément traverser les murs ? Passer le corps là où les autres s’arrêtent ? Pousser le corps au-delà ? Franchir le mur, pénétrer le parpaing avec la certitude que ça passera, qu’on y survivra, que le corps s’adaptera ? Accepter ce que la peau en gardera comme trace, qu’on ne pourra pas empêcher de flamber, malgré le chaque fois comme ça tu ne t’y habitues pas. Ça gratte, ça démanche, ça se soulève, ça peut se colorer d’un léger rose plus foncé, ça ne se voit pas à l’œil nu, le médecin ne voit rien, arrête de gratter, ça va empirer, pire ça ne peut pas, ils n’y comprennent rien, quelque chose du dedans qui doit passer au dehors et ça ne se laisse pas faire comme le corps traverser un mur.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Voir aussi sur Youtube.