Tu n’as pas tout de suite entendu le camion arriver. C’était un petit camion, étroit et court pour se faufiler dans les ruelles et les sentiers. À l’arrière, les côtés de la benne étaient rehaussés de grillage pour en augmenter la contenance. Il l’avait garé à l’entrée du chemin et vidait les poubelles du parking, une à une, avant de remettre de nouveaux sacs pour la journée qui allait commencer. De la benne il a ensuite sorti un balai de faux joncs en plastique vert fluo et une pelle dont il se servait avec une grande agilité. Grosse canette ou petit mégot, ramener avec le balai, bloquer avec la pelle, et les deux serrés l’un contre l’autre pour bien garder la trouvaille, il balançait la chose dans la benne en laissant retomber la pelle sur le bord en grillage pour être bien sûr de faire tomber le truc, même si l’air de la mer ou la rosée du matin l’avaient poissé d’humidité. Encore un peu endormi dans ta camionnette, tu le regardais faire à travers la fenêtre. Quelques pas, le balai, la pelle et le poc de l’outil contre le bord de la benne. Il connaissait son affaire, il connaissait bien le lieu, toujours juste et précis, aucun hasard dans sa démarche, aucun geste inutile, aucun déchet délaissé. Et puis sous un buisson quelque chose a attiré son attention. Il a posé pelle et balai, il s’est baissé pour ramasser doucement une veste de survêtement, trempée et salie. Il l’a tenue devant lui, l’a fait tourner pour bien la regarder, en a tâté les poches avant de sortir de celle de droite un sac transparent qui contenait des papiers, des photos. Tu ne voyais pas les détails, tu étais un peu loin et tu étais de côté. Ça a duré longtemps. Ses épaules se sont voutées, ses mains tenaient l’image, ses yeux la regardaient, son pouce passait doucement dessus, surement pour en enlever des poussières. Il a relevé la tête, a regardé la mer, un peu à côté du lever de soleil, là où une ligne grise indiquait l’Angleterre. Ses yeux sont revenus sur l’image, il l’a encore longuement regardée avant de la glisser dans la poche intérieure de sa veste avec les bandes réfléchissante. Il s’est essuyé le nez au revers de sa manche, a repris son balai et ramassé sa pelle. Puis il est reparti, doucement, vers son camion grillagé qu’il a fait démarrer après avoir posé la veste et le sac contenant le reste des papiers sur le siège vide à côté de lui.
C’est sûr que la photo arrête le passage, Juliette. Après on lit. Très beau personnage et toute une histoire se dessine en peu de mots. Très admirative.
Merci, mais ici c’est le lieu qui fait tout. Il y a un tel contraste entre la beauté des lieux (pas les mêmes dunes que sur la photo, les vraies sont encore plus belles) et les nombreux faits divers actuels puisque c’est un lieu de départ des migrants pour l’Angleterre. Avant de partir ils dorment dans ces dunes, certains s’installent. Et la gendarmerie passe régulièrement
Belle description!
Texte qui chavire et fait craindre le pire. Merci