Les étés se succèdent et se ressemblent. Tristes et monotones. En cet été 1905, une fois l’école fermée, Marius n’a pas d’autre choix que de travailler avec son père à la coupe de bois. C’est un travail difficile et fatiguant pour un enfant de dix ans. Lui, il aimerait jouer. Son rêve est de partir à la découverte du monde, celui qui se cache derrière la forêt. Son rêve est rempli d’aventures qu’il imagine au bout la ligne de chemin de fer. Au-delà de l’horizon.
Il revenait de porter une brassée de buches à l’intérieur du hangar et, le souffle court, il s’était assis sur un tronc à regarder le château. Une grande fête était en préparation, le jeune prince se mariait. Marius avait croisé l’aristocrate une fois, c’était un grand échalas au regard vide. Il n’enviait pas sa richesse, il enviait ce qu’il voyait, ce qu’il savait du monde au-delà de l’horizon. Il enviait sa liberté.
La gifle le sonna. Pendant un instant, il crut que quelque chose lui était tombé dessus. Allongé sur le sol, tout en se tenant la tête, l’enfant leva les yeux. L’ombre de son père l’enveloppait, menaçante, tandis que la large paluche puissante du bûcheron se remettait en position pour asséner une deuxième volée. Les larmes au bord des yeux qu’il s’efforçait de contenir, Marius se releva précipitamment, saisit sa casquette qui était tombée sous la puissance du coup, la remit en place et se dirigea vers le tas de bois pour continuer son labeur. C’est dans les minutes qui suivirent cette correction, dans ces moments où la douleur est encore vive mais s’estompe lentement, que l’idée germa dans son esprit.
À la fin de la journée, lorsqu’il fut libéré de l’obligation paternelle, Marius pénétra dans le hangar. Son père était parti sur un chantier de débardage avec les deux chevaux. Dans le fond, une énorme scie le menaçait de ses dents acérées. Il trouva ce qu’il cherchait sur un billot. Il ramassa un vieux chiffon sur l’établi, reste déchiré d’une chemise, et enveloppa l’imposant coin en acier. Et quitta les lieux en portant à deux mains son trésor enveloppé, tant l’objet pesait lourd pour l’enfant qu’il était.
La ligne de chemin de fer n’était pas très loin mais Marius dut batailler pendant près d’une heure pour l’atteindre avec son chargement. Il choisit un endroit où la voie se divise en deux, sans aucun doute un aiguillage. Il posa le coin entre les deux parties les plus fines du rail, se saisit d’une pierre et enfonça l’objet du mieux qu’il put.
Ce n’est pas le rapide de la grande ligne qui dérailla ce jour-là mais un train de marchandise vide. Marius fut un peu déçu mais il avait réussi dans son entreprise. Il avait réussi à faire venir l’aventure à lui, à défaut de partir à sa rencontre.
Marius ne parvint jamais à quitter le village où il avait grandi. Une fois son père disparu, il reprit l’entreprise familiale et si ses rêves d’aventures se dissipèrent par moments, il n’oublia jamais cet instant où le train de marchandise avait déraillé. Il en avait gardé le goût de la liberté.
Le 3 mars 1974, alors que Marius était âgé de 79 ans, un DC-10 de la compagnie Turkish Airlines reliant l’aéroport Atatürk d’Istanbul à celui de Londres-Heathrow, s’écrasa dans la forêt.
une sorte de conte en guise de récit
on a mal à cause de la gifle, mais finalement il s’en est plutôt bien sorti jusqu’à ce que le DC10 s’écrase en 74 (mais était-il dessous ?)
forêt, père, crash, ingrédients pour atteindre son but !
Entre les sept premiers paragraphes et le dernier, tout reste à imaginer. Merci de ta lecture fidèle.
Rétroliens : #40jours #hors-série | déviations sans incidence – Tiers Livre | les 40 jours