C’est une rue calme, destinée à être parcourue rapidement en voiture. Quelques lacets pour l’animer mais elle force l’attente et le laisser passer. De part et d’autre, les habitations muettes sont parfois saignées par des volées d’escaliers, montantes du côté des nombres impairs, descendantes en face.
Au niveau du 175, une ruelle grimpe vers une histoire familiale oubliée. Qui sait encore les larmes versées la nuit par des fillettes abandonnées ? Qui parle encore du désespoir d’une femme qui a étouffé ses colères jusqu’à la fugue indigne ? Qui pense encore à la sidération de l’homme délaissé ? Qui se souvient du même homme devenu un grand-père adoré ?
Où sont les traces de cet amour absolu entre une enfant et son ancêtre ?
Une maison unique insalubre, invendable, inhabitable, une vie, des vies, disparues en deux coups de pelle. Des croisements d’existences tristes, d’espoirs dans les cœurs fracassés, le temps qui défile sur un scandale initial qui devient fait divers et ragot, les saisons qui s’éteignent sur un œil perdu à la mine, des lessives à la main, des bains dans une bassine, des merdes au fond du jardin, des mariages, des gifles, des polichinelles dans le tiroir, des fuites, des retours, des rires de gosses, des disputes, des visites après le marché, des visites du Nouvel an, des bières, du café de la veille, des portraits au mur, un poêle au charbon, une télé allumée, une seule pièce pour tout vivre.
Le destin de mon grand-père gravé par les faits divers, le dos de mon grand-père vouté par des années de misère, le ventre de mon grand-père qui traverse le village et le temps, le sourire de mon grand-père, sa fierté, son bonheur tardif d’être enfin aimé par sa petite-fille, sa jalousie enfantine.
Où sont les traces de ces riens d’histoires, ces miettes de douleurs, ces fragments de fracas ?