Dans sa première tournée européenne, la célèbre star américaine Major Taylor devait courir le jeudi 2 mai 1901 contre les Jenkins, Gascoyne, Bixio, Ferrari au vélodrome du parc à Bordeaux. Il avait pu s’entraîner la journée entre les averses, impressionnant par sa prestance et son style. Il fit en voiture le tour de la presse et des monuments de la ville. Le soir, 3000 personnes s’étaient déplacées, parfois de loin. Des caravanes de clubs vélocipédistes du Sud-Ouest avaient fait le trajet par la route pour gagner le stade. Les tramways et omnibus effectuèrent un service spécial. Une autre attraction venait du fait qu’un nouvel éclairage électrique devait être pour la première fois utilisé. 22 lampes à arc avaient été installées dans la journée, des brûleurs à acétylène posés sur la pelouse. La fée se fit attendre, elle n’arriva que très timidement ; à peine rougeoyait-elle ou se fit-elle intermittente. Les lampes à acétylène et à pétrole se montrèrent de faible secours. Le clair de lune n’y suffisait pas non plus. Les premières courses furent retardées d’une heure, à 21h30. Les coureurs de la première série abandonnèrent rapidement la lutte, ne voyant pas assez à grande vitesse la piste de ciment. Les suivant refusèrent tout simplement de courir. Les électriciens se montraient toujours impuissant à régler les lampes à arc, aussi décision fut prise de reporter les courses au lendemain. Le public, d’abord calme, s’impatienta, réclamant qui les coureurs, qui la lumière, qui le remboursement. Des pieds commencèrent à taper sur le sol, des cannes à frapper sur les balustrades. Les versions des journalistes divergent ensuite sur le cours des évènements et leur déclenchement. Il semble que des rumeurs apparurent le temps de comprendre les annonces. Un échange de tickets pour le lendemain, ou leur remboursement, entraîna des mouvements de foule houleux, un assistant recevant même un coup de chaise à la tête. Suite à un quiproquo toujours autour des tickets, une crainte d’escamotage de la recette, la foule se fâcha vraiment, réclamant son argent. Des véla furent déchirés, l’un d’eux enflammé, les populaires envahirent la piste, entassèrent des chaises en osier, les allumèrent avec des journaux. Ils alimentèrent le brasier central avec quelques deux cents chaises des tribunes, des barrières, des tables en bois, des échelles, des palissades, des drapeaux, tout le mobilier combustible pouvait y passer. Une grande farandole se fit autour. Le directeur du stade s’était barricadé dans son bureau. Les globes électriques furent brisés par des jets de cailloux, les vitres de la buvette volèrent en éclats, le poteau d’arrivée fut déraciné, manquant d’assommer un officiel. Les quelques gardiens de la paix présents furent aussi attaqués à coup de pierres et de chaises, certains blessés. Ils réussirent à procéder à deux arrestations. Lorsque des renforts et les pompiers arrivèrent vers 23 h., le brasier prenait fin, il fallut une heure encore pour évacuer le stade, redevenu calme à minuit trente.
En piteux état, il fut rapidement nettoyé, et réparé tant bien que mal. Pour éviter la même mésaventure, les courses eurent lieu le lendemain après-midi, devant encore 3000 personnes enthousiastes.
Dans la finale à 4, clou de la journée, Major Taylor semble mal embarqué à la cloche, en 3e position sur une piste à la courbe très accentuée. Il commence à 200 mètres à remonter ses concurrents, passe dans les 50 derniers mètres Jenkins et Ferrari, gagne d’une demi-longueur sur ce dernier. Bixio se glisse 3e. Les chapeaux volent, les mouchoirs s’agitent, une longue ovation lui est faîte. Le champion américain décide alors de tenter le record du tour de piste sans entraîneur (333,33 m). Il le réalise en 20 s 1/5, battant le précédent record du grand Zimmerman.
C’était au 5, rue du Vélodrome. La rue existe toujours, bordée de voitures garées, et d’immeubles, près du parc bordelais.