#40jours #25 | les lendemains de Félix Fénéon

codicille : Parus entre 1905 et 1906 dans les colonnes du journal Le Matin, mille-deux-cent-dix faits divers ont été relatés en trois lignes par le journaliste Félix Fénéon. L’intégrale est éditée par François Bon et le Tiers-Livre Éditeur  sous le titre « Nouvelles en trois lignes ». En fin de paragraphe est indiqué la référence de la nouvelle en trois lignes s’y rapportant.

En gare d’Émerainville, le train de marchandises est encore couché sur le sol. Les wagons ont été vidés sous la garde attentive de la maréchaussée afin d’éviter les pillages. Un wagon-grue est attendu dans les jours à venir et le Paris-Belfort a repris la circulation. La pièce qu’avait coincée le jeune Marius est toujours en place et bloque encore l’aiguillage. (471)

Au premier étage de l’hôtel des voyageurs à Fontainebleau, les toilettes ne portent plus aucun stigmate du drame qui s’est joué la veille. Le matin, après le ménage, une jeune femme portant une longue robe noire est passée avec une rose. Elle voulait la déposer mais devant la pièce nettoyée, elle a changé d’idée et est repartie avec sa fleur. (290)

Au café des amis de la rue Fontaine (Paris 9ème), la terrasse a été nettoyée et ne porte plus aucune trace. Dans le bois de la charpente du auvent, pourtant, une balle demeure invisible à l’oeil nu. Près du pas de porte voisin, une petite tache de sang a résisté au lavage à grandes eaux du sol. Elle ne résistera pas longtemps. (13)

Sur la place de Versailles, les calèches ont repris leur activité comme si de rien n’était. Les chariots attelés de deux, quatre et six chevaux continuent de balader les touristes aux abords du château. Un homme est assis sur un banc et pleure. C’est un touriste et il se sent désespérément seul. (681)

À Dontilly, sur la passerelle traversant le ru du Moulin, deux amoureux se tiennent pas la main. Ils regardent l’eau s’écouler sous les arbres. Sur un bord, l’herbe couchée laisse supposer une activité humaine importante. Ce n’est pourtant la saison pour se baigner, l’eau est encore froide. Personne ne se baigne d’ailleurs. (688)

À Grez-sur-Loing, les vaches continuent de paître comme si de rien n’était. Tout au plus, la traite du matin n’a pas été très productive. Mais les vaches font montre d’une belle vigueur. Elles arpentent leurs prés comme si elles étaient les gardiennes du lieu. Les humains n’ont qu’à bien se tenir. (491)

À Pantin, personne ne fait sa lessive aujourd’hui. Il est probable que personne ne la fasse dans les prochains jours. Sans doute faudra-t-il attendre le dernier moment pour que les ménagères rejoignent le lavoir municipal. Elle pourront alors discuter de cette funeste journée. Avant que le temps ne reprennent son cours. (1124)

Sur la voie ferrée près de Jonquières, l’énorme tache de sang et encore visible. Quelques villageois qui passent en vélo sur le chemin bordant le chemin de fer mettent pied à terre et regardent l’énorme point rouge. Entre eux, beaucoup se demandent pourquoi. Mais certains qui savent ne se posent pas la question. (640)

À La Frette, personne ne se baigne aujourd’hui. (325)

À Nîmes, les arènes sont prêtes à accueillir la corrida du jour. (851)

À Propriano, on ne parle plus politique. (19)

À la Chapelle-au-Bois, on ne vend plus d’alcool (1073).

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

5 commentaires à propos de “#40jours #25 | les lendemains de Félix Fénéon”

    • J’ai comme l’impression d’avoir découvert un annuaire de faits divers. C’est vrai que ça facilite la tâche. Merci Laurent.

  1. C’est une manne ce Fénéon ! J’aime bien le parti-pris de phrases très courtes qui sonnent comme des gifles

    • C’est ça, des flashs comme des gifles. Ça répond au style de Fénéon qui, lui aussi, utilise des phrases courtes. Trop courtes. Merci de ta visite Catherine.