Ma grand-mère a conservé la coupure de journal. Quelque part, oui, mais où ? Il faudrait chercher, fouiller dans les placards – ce n’est pas pour aujourd’hui. Ma tante qui est l’héroïne de cette histoire en a une copie, oui, mais où ? Il faudrait chercher, fouiller dans les placards, etc. Et personne pour se souvenir de la date. De l’année, si : 1959, mais de la date, non – même pas du mois. Au printemps ? En été ? Tu sais, là-bas, il faisait toujours beau, les saisons n’étaient pas si marquées qu’ici. De toute façon à quoi servirait de connaître la date ? Les archives de l’Écho d’Alger ont-elles été numérisées ? (Elles l’ont été et sont disponibles sur Gallica – mais je n’ai pas le temps)
1959. La famille habitait Bab el Oued, rue Jenina, numéro 8, au second étage (l’étage a une importance). Un grand appartement avec balcon (le balcon a une importance). Comme le notait Caroline Diaz hier « les voitures Street View de Google ne semblent pas autorisées ». Tout comme elle je ne pourrai donc, sauf à m’y rendre, voir l’immeuble où se sont déroulés les faits.
Les faits les voici : une enfant de quatre ans enjambe la rambarde du balcon et tombe dans la rue. Sans se blesser. Comme un chat. Elle enjambe la rambarde, chute du deuxième étage et, indemne, se relève, sous l’œil médusé des passants. Voilà l’histoire. Le plus étrange c’est que l’Écho d’Alger y consacre un article avec photo de l’immeuble, du balcon, de la miraculée. Les sujets autrement plus brûlants ne manquaient pas à Alger en 1959, si ?
Voilà comment ma tante est apparue dans le journal. Aucune conséquence, ni pour elle, ni pour le balcon, ni pour le trottoir. Sa chute n’aura perturbé qu’un instant l’air trouble d’Alger 1959. La suite du fait divers est ailleurs. Chaque membre d’une famille est résumé en une chose, un trait, une action. On est pour les autres, jusqu’à la mort, « celui qui, un jour… », « celle qui ne peut s’empêcher de… » Pour toujours et à jamais ma tante restera celle qui est tombée du balcon. Et, ceci justifiant cela, cette chute originelle sans conséquence apparente donnera la clé de toutes les instabilités.
j’aurais adoré poursuivre ce dialogue (mais ne peux réduire ce que tu sais à un fait divers), là ou toi tu convoques un fait divers qui n’en est pas vraiment un, même si …
Voilà un fait divers qui n’aura pas laissé de trace pour le lendemain. Même si le journal s’est emparé de l’histoire.
Les traces sont dans les placards mais surtout dans la mémoire familiale.
Merci pour cette lecture très agréable !
Les archives de l’écho d’Alger sont disponibles sur Gallica ? quelle merveille… (j’ai même pas cherché) (j’ai même pas ouvert un journal) (au début de ces journées de labyrinthe ou de marathon, on y recensait les chats : en voilà, réincarné(e)) (normalement, si on était au café en train de boire un campari, une mauresque ou que sais-je jte demanderai « mais comment elle s’appelle ? »)
Oh c’est une histoire, qui ouvre pleins de fenêtres (de placards). « Sa chute n’aura perturbé qu’un instant l’air trouble d’Alger 1959 » Une chute sans conséquence qui remue quelque choses en dedans . Un petit bruit du temps.
Belle histoire avec une fin heureuse, à peu près.
un fait divers, un poids qui tombe mais si léger que rien n’arrive, à peine une légère perturbation de l’air d’Alger…
quelle belle histoire et qui ne tire pas du côté de la tragédie
(je goûte !!)
J’aime beaucoup toutes ces connexions. Le Tiers-Livre devient un réseau d’eau interconnecté ou un réseau à la fibre ouverte.
J’aime beaucoup cette dernière phrase : « cette chute originelle sans conséquence apparente donnera la clé de toutes les instabilités ». Démarrage de l’imaginaire et hop, c’est parti. Sur les chapeaux de roues.
La chute originelle ne peut qu’avoir des conséquences dont une est l’instabilité, drôle de lire ce texte aujourd’hui alors que je cherche Marengo sur Google Earth pour tenter de raviver la mémoire de ma belle mère… Hadjout ça ne lui dit rien et puis la Google car n’est pas passée par là encore peut-être n’y passera t’elle pas à temps … 96ans le temps n’a plus la même consistance
c’est très joli et tellement vrai que des destins se dessinent à partir de ce genre de faits.