J’étais là mais j’ai rien vu. Elle n’est pas sortie de chez elle. Elle est restée à sa fenêtre, un peu hagarde, les gens dehors lui criaient que c’était dangereux, qu’elle devrait sortir mais elle est restée là sans broncher, à regarder son monde avec un sourire de caissière fatiguée. Les mauvaises langues n’ont pas pu s’empêcher de feuler. Elle cherchait à se tuer ou bien, c’était plus probable, elle était pour quelque chose dans cette affaire. Les autres, ceux qui la connaissent, ceux qui la reconnaissent sans baisser la tête en la croisant, ceux-là ont dit qu’elle regardait par sa fenêtre comme elle le fait toute la journée, sans regarder quoique ce soit. Elle range son corps près de sa baie vitrée, elle le range toujours là avec son regard posé dehors parce qu’il faut bien le mettre quelque part. Elle ne s’en soucie plus, il y a longtemps qu’elle en est partie. Ses parents lui rendent visite parfois, il parait qu’ils ne comprennent pas ce qu’il s’est passé. Et quand ils en ont la force, ils passent la voir, entament une discussion qu’ils finiront seuls parce que leur fille se sera posée près de la fenêtre et aura cessé de parler. Il s’est passé quelque chose cette nuit, tout le quartier en parle, le journal aussi mais de Justine, de sa disparition, du monde qu’elle ne voit plus, pas une ligne. Le flic qui sonne à sa porte le lendemain ne la comprend pas, c’est pourtant simple, elle était là mais elle n’a rien vu.
C’est beau et terrible ce portrait de cette femme qui a rangé son corps près de sa baie vitrée – Merci. bon dimanche.