Alors que je t’attends en terrasse du café Au fil du vin situé à l’angle de la rue Eugène Varlin et du quai de Valmy, dans cet arrondissement de Paris qui compte 59 790 logements (dont 13,8% vacants, où 35,8% des ménages en sont propriétaires tandis que 59,5% en sont locataires) soit 306 habitants à l’hectare (bois compris), et dans lequel 46 830 de ces ménages comptent en moyenne 1,87 personne, 1 642 naissances ont en effet été enregistrées cette année pour 470 décès, dont les jeunes de moins de 20 ans représentent 19% des habitants tandis que les personnes âgées de 65 ans sont 12,2%, un arrondissement où y vivent 20,5% d’immigrés, 15% de nationalité étrangère, où 7,4% des habitants sont étudiants, les employés et ouvriers représentent quant à eux 23,3% de la population active, les cadres et professions intellectuelles supérieures 48,7%, les non scolarisées qui n’ont pas de diplôme sont 16,7%, dans un arrondissement où le salaire net horaire moyen des femmes s’élève à 21,1€ tandis que celui des hommes s’élève à 24,3€ (l’égalité des salaires n’est pas pour demain !), que le revenu est de 27 420€, je réfléchis à notre échange quelques heures plus tôt. J’ai bien reçu ta note vocale sur mon smartphone, j’arrive dans une heure, j’espère ne pas être trop en retard, en réponse à mon sibyllin SMS, on se retrouve à 18h Au fil du vin ? Je ne sais pas encore si tu viendras à vélo à notre rendez-vous. J’ai consulté le site de la RATP, la ligne 7 circule mal à cette heure de pointe. Je sais qu’à l’heure actuelle, à la station Velib Jemmapes – Écluses Saint-Martin située juste en face du café, de l’autre côté du Pont, une borne avec 10 vélos est disponible. 1 vélo électrique est encore disponible actuellement et 2 vélos mécaniques. Tu trouveras donc sans mal de la place pour te garer le cas échéant. Avec l’ensemble des données de fermetures des voiries programmées, je peux connaître quelles rues tu ne devrais pas emprunter pour espérer arriver à l’heure. Mais il est déjà trop tard, tu as fait ton choix pour ton mode de transport. Tu as soif après ton parcours à travers Paris, tu cherches un endroit pour te désaltérer avant de me rejoindre au café, mais il n’y a aucune fontaines à boire dans les parages, la plus proche t’obligerait à faire un détour jusqu’au square Eugène Varlin situé de l’autre côté du canal et tu passerais devant moi, ce qui serait idiot, il faut bien le dire. Tu demanderas un verre d’eau au café avant de consommer ta bière. Et te voilà qui arrive enfin. Tu ranges donc ton vélo comme prévu. Tu vérifies tes messages avant de traverser la route pour me rejoindre. Je voudrais bien savoir qui a pu t’écrire à qui tu réponds si rapidement. Une réponse rapide à un commentaire sur Instagram, un j’aime sur Facebook ? Tu n’aimes pas utiliser ton téléphone une fois que tu es avec moi. Il n’y a pas de réseau Wi-Fi public gratuit dans les parages, il faudrait remonter un peu plus haut sur le canal, dans le square Frédéric Lemaître, pour t’y connecter, tu utilises donc le réseau 4G de ton smartphone. Sur le mur de soutènement du pont, ton regard aiguisé ne manque pas de remarquer l’affreux tag rouge qui défigure depuis quelques jours ses vieilles pierres, mais tu es vite rassurée de savoir qu’il a déjà été signalé trois jours plus tôt, sur l’application en ligne : Dans ma rue. Mais ta curiosité est excitée, en me rejoignant à pied, tu notes avec effarement le nombre vertigineux de signalements très divers sur le même périmètre, en plus des graffitis, tags, affiches et autocollants. Il y a l’accumulation d’eau sous forme de grosse flaque d’eau dans le caniveau ou sur chaussée ou sur le trottoir, les affiches ou autocollants sur les murs, façades sur rue, ponts, jardinières, descentes d’eau pluviale, sur les abris pour vélos, les abribus, les arbres et tout autre mobilier urbain comme les barrières de chantier, les boîtes aux lettres (La Poste), les boites de bouquiniste, les bornes de recharge électrique (Autolib’, Belib’, Clem’, Ubeeqo), sur les bornes granit, les colonnes Morris, les conteneurs pour la collecte des textiles, les corbeille de rue, les défibrillateur implanté sur l’espace public, sur les jeux pour enfants, les kiosques à journaux, les panneaux routier ou signalétique, les panneaux associatifs en libre accès, sur les plaques de nom de rue, les Sanisettes, les sanitaires mobiles, les station Vélib’ et Trilib’, les bornes de collecte des déchets alimentaires, les œuvres d’art, les affaissements, trous, bosses, et pavés arrachés, les itinéraires cyclables interrompus, tous les obstacles sur la piste (bordure descellée), les revêtements manquants, les arbres à élaguer, les arbres dangereux ou en mauvais état, les arbustes ou jardinière en mauvais état, les automobiles ou autres véhicules motorisé en stationnement gênant, les autres objets encombrants abandonnés, la présence d’essaim ou de nid d’insectes, la présence d’un animal mort, la présence de déjections canines, de fientes d’oiseaux, de rats sortant des égouts, d’appareil hydraulique au sol avec écoulement d’eau permanent, au sol détérioré, bruit d’eau souterrain, poteaux d’incendie défectueux, bouches d’incendie avec couvercle cassé, bouches d’incendie avec écoulement d’eau permanent, bouches d’incendie détériorée, bouches de lavage, d’arrosage ou de remplissage avec carré hors-service, bouches de lavage, d’arrosage ou de remplissage avec couvercle cassé, bouches de lavage, d’arrosage ou de remplissage avec écoulement d’eau permanent, impossible à fermer, bouche de lavage, d’arrosage ou de remplissage avec faible débit d’eau, bouche de lavage, d’arrosage ou de remplissage sans écoulement d’eau, poteaux d’incendie avec écoulement permanent et poteaux d’incendie détériorés, abris pour vélos (Vélobox) détérioré, abribus détériorés, ascenseurs en panne, autres mobiliers urbain détérioré, banc détérioré, boîtes aux lettres (La Poste) détériorées, boites de bouquiniste détériorées, caméras de surveillance détériorées, colonnes Morris détériorées, défibrillateurs détériorés sur l’espace public, les pendules de quartier détériorées, les jardinières ou bacs détériorés, les eux d’enfants – table de jeu – aire sportive détériorés, les kiosques ou chalets détériorés, le mobilier de marché découvert alimentaire détérioré ou abandonné (Support, bâche), les pompes à vélo détériorées, les stations Vélib’ détériorées, les tuyaux de comptage des véhicules détériorés, les bancs détériorés, les poteaux RATP (Tête de vache), autres détériorés, les bacs roulants à ordures ménagères, les barrières et autres objets de chantier (hors gravats), les boitiers pour l’éclairage public ouvert en pied d’immeuble avec fils apparents. En arrivant à ma hauteur, tu es encore trop accaparée par les informations qui tournoient sans fin dans ta tête. Et dès que tu t’assois à la place libre en face de moi, tu ne peux t’empêcher de partager ta surprise avec moi. Je ne connaissais pas cette application Dans ma rue, m’avoues-tu. Nous en discutons quelques minutes puis nous échangeons nos journées respectives, pendant que nos voisins le font en même temps que nous, de vive voix comme sur leurs téléphones portables, commentant photos, actualités et messages sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, Tik-Tok, communicant via Snapchat ou Messenger, conversation orales et virtuelles en complément sous l’œil imperturbable de la caméra de surveillance jugée au-dessus du feu de signalisation du carrefour qui enregistre tous nos faits et gestes. Et quand, surprise par la floraison magnifique d’un arbre près de la balustrade en métal du pont, tu me demandes quel est le nom de cet arbre que j’ai pris tant de fois en photos, arbre qui figure donc sur mon compte Flickr si on effectue une recherche ayant pour thème Paris 10ème, ou canal, ou arbres, je te réponds qu’il s’agit d’un cerisier du Japon, comme nous l’indique la base de données des arbres plantés à Paris.
vertige de nos vies connectées
Cela ferait un bon titre Caroline, non ?
La densité de population si bien rendue dans votre texte donne envie d’en sauver quelques un.e.s de la promiscuité urbaine si oppressante. J’aurais voulu signaler votre situation inconfortable ( surmenage) au site DMR, mais voici le message qui s’affiche à l’instant : « Le formulaire DansMaRue est en maintenance aujourd’hui. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée.
L’équipe projet dansmarue. »
Il faudra bien qu’on intente une action collective pour créer un Site de solidarité du style Sauvez Un.e Parisien.n.e ! Bien sûr , il y en a qui ne voudraient pas quitter la plus belle ville du Monde, mais je sais que ma compassion est biodégradable devant l’ampleur du défi. A part vous envoyer des cartes postales… A Lyon , on commence à saturer aussi, les prix de loyers et de construction explosent. Avec deux fleuves on a l’impression d’être plus étalé mais c’est une illusion bien provisoire… La piétonnisation a mauvaise presse chez les commerçants mais les vélovs pullulent et plongent souvent directement des quais pour aller parler aux silures… Monde grouillant… « Au fil du vin » est un nom de bistrot bien étrange… Je ne connaissais que l’expression « Au fil de l’eau »…
Cela me rappelle une nouvelle de Dino Buzatti, je crois qu’elle s’appelle « Douce nuit », un couple se met à observer son jardin dans la nuit, réveillé par un étrange bruit. C’est un peu ce que nous faisons ici avec l’incroyable masse de données qui ne prennent cette dimension affolante que lorsqu’on les accumule pour les traiter ensemble. Comme dans la nouvelle de Buzzati, une quotidienneté, anodine de prime abord, peut soudain révéler un trouble, d’où émerge la dimension véritablement vertigineuse des nos flux d’informations et de nos données.
Ah, le 10e arrondissement !
Finalement pas noyés au fil du vin mais plutôt au fil des données !
Merci Philippe pour ton texte foisonnant !