Elle a rendez-vous avec une amie dans un restaurant situé derrière le Palais de Justice, elle est à la Grand-Place, ça lui fait 20 minutes à pied, elle est dans les temps. Elle emprunte la rue Charles Buls, se trouve devant le bâtiment de Fédérale Assurance situé au croisement de la rue de la Violette et de la rue de l’Etuve, c’est un bâtiment de forme triangulaire, lui semble-t-il du début du XXe siècle et de style néoclassique, elle se dit que ce serait quand même bien pratique de pouvoir passer au travers, cela lui ferait gagner du temps et lui permettrait d’aller droit à son point de rendez-vous, elle longe l’immeuble côté rue de la Violette, avise une porte vitrée à double battant et regarde à l’intérieur, simple curiosité peu récompensée car il y fait sombre, ça doit être l’entrée du personnel, elle pose le front contre la vitre et tout d’un coup son corps est pris d’une vibration qui la fait vaciller, elle ne voit plus rien, n’entend plus rien, ça dure une fraction de seconde, elle regarde autour d’elle et constate qu’elle est de l’autre côté de la porte. Prise de panique, elle s’engage dans un couloir et tâte le mur pour voir s’il se passe quelque chose, mais oui ! elle passe au travers sans aucun problème, marche dans un local de photocopieuses et se retrouve dans un autre couloir, deux personnes en train de discuter arrivent en sens opposé et semblent ne pas la voir, elle se fige, ne sait comment réagir alors qu’elle n’aurait qu’à se jeter de côté dans le mur à sa droite, le temps de penser à cela et elle se rend compte que les gens ont continué leur chemin sans la croiser, sans passer à côté d’elle et pourtant il n’y a eu aucun choc ; force lui est de constater qu’ils sont passés au travers de son corps, force lui est de constater qu’elle est invisible ! Son cœur bat la chamade, ses mains sont moites, elle s’appuie contre le mur et se laisse glisser au sol, le temps de reprendre ses esprits. Elle regarde l’heure sur son téléphone, mince ! Il ne lui reste que dix minutes pour arriver à son lieu de rendez-vous et elle déteste arriver en retard. Elle bondit sur ses deux pieds et lance la boussole de son téléphone, car elle n’a aucun sens de l’orientation, elle doit aller vers le Sud. Elle pénètre dans le Palais des Cotillons, célèbre magasin de déguisements, pas le temps de s’attarder, puis dans la Parlement bruxellois en plein débat, elle s’amuse à passer entre les députés, à travers eux, ils ne se rendent compte de rien, elle continue son ascension vers le haut de la ville, la Fondation Jacques Brel, la Maison de la Photographie argentique, elle ne connaissait pas et se dit qu’elle reviendrait bien y faire un tour prochainement. Elle travers le boulevard de l’Empereur et gravit en diagonale le quadrillage de rues entre la rue Haute et la rue des Minimes. Elle emprunte l’ascenseur dit des Marolles qui la propulse sur la Place Poelaert1. Il n’y a plus que le Palais de Justice entre elle et le restaurant où lui a donné rendez-vous son amie, elle consulte son téléphone, il lui reste cinq minutes, c’est trop tentant, elle ne peut pas ne pas le faire, c’est impossible, un passage éclair, ni vu ni connu, dans le célèbre Palais de Justice, au travers des échafaudages et des murs épais, celui on dit qu’il est un passage vers Brüsel, le pendant obscur et fantastique de Bruxelles, mais elle n’a pas le temps d’explorer cela pour l’instant, son amie et les Larmes du Tigre l’attendent, mais elle y reviendra, c’est sûr, elle y reviendra.
1 Prononcer Poulart et prononcer le « t » également.