Je suis aux confins de la ville. Je suis là où l’homme disparaît, à la frontière des mondes. Là où le règne de la mort commence. Je suis au fond d’un trou qui sent la terre humide, dans une boite en chêne, sous une pierre de calcaire gravée de mon nom et de ceux de mes parents. Je suis dans un cimetière et je te vois.
Je serais un feu-follet pour m’échapper de ce cercueil à travers le bois encore dense, m’échapper de la tourbe habitée d’une cité d’insectes chargés de me faire disparaître, m’échapper de cette dalle en pierre sous laquelle tant de regrets ont perlé et sur laquelle tant de larmes ont coulé. M’échapper de ce lieu peuplé d’esprits et de croix.
Je serais un chat pour percer la nuit de mon regard jusqu’à te rejoindre. Traverser la zone industrielle et commerciale et ses entrepôts et ses folies et ses démesures. Traverser la fumée des camions qui se croisent, les parois des bureaux, les murs des usines, les moteurs des machines. Atteindre les supermarchés dont les allées regorgent de rêves sous plastique. Traverser la station d’essence qui furoncle la planète en crise, traverser le dépôt d’appareils qui électroménagent nos vies, traverser la décharge où pourrissent nos caprices et nos rêves paresseux.
Je serais une balle de fusil pour fendre l’air au milieu des autoroutes dans le flot continu d’une fièvre perpétuelle. Fendre les minuscules espaces de minuscules instants de vie. Comme le chauffeur de taxi qui, les deux mains posés en haut du volant, rêve de voitures de luxe. Comme le richard qui, la mèche au vent dans sa décapotable, songe à l’enfant qu’il aurait aimé être. Comme le jeune rêveur qui, les yeux perdus dans le paysage brouillé qui défile derrière sa fenêtre, se dit que quand il sera grand, il conduira un taxi pour avoir le temps de rêver. Fendre le cycle des rêves jusqu’à toi.
Je serais une abeille pour voler à travers les jardins des pavillons de banlieue où les espoirs se cultivent en batterie. Voler parmi les retraités qui font la sieste à l’ombre d’une haie de cyprès soigneusement taillés. Voler au-dessus des tables de jardin en plastique où les tasses de café vides et les serviettes chiffonnées attendent d’être débarrassées.
Je serais une pensée pour me fondre dans la ville. Me fondre dans les rues sans avoir peur des voitures, me fondre dans les bâtiments sans avoir peur de la police, me fondre dans les lieux les plus intimes sans avoir peur d’être indiscret. Me fondre dans les églises à la recherche d’autres pensées. Me fondre dans les tribunaux pour comprendre. Me fondre dans les esprits.
Je serais un chant, je serais une onde, je serais un parfum pour m’immiscer dans le coeur des hommes. Jusqu’au pied de l’ultime obstacle.
Alors, je serais un cri pour transpercer la dernière muraille. Je ferais voler en éclat les murs de ta prison, les uns après les autres, jusqu’à ta cellule. Je rentrerais, je te regarderais. Et je te demanderais.
trop bien
Merci Piero. Si un jour je me décide à écrire un texte sur la naissance des idées dans mon écriture, je crois que je m’appuierais sur ce texte-là.
Fondre, fendre, voler, s’immiscer, puis chanter et crier…
Magnifique conclusion.
Merci Grégory. J’ai cherché comment aller tout droit et je suis tombé sur ces verbes.
Merci pour ces traversées Jean Luc pour .
Merci Nathalie. Ce rêve de traverser. Je suis tombé il y a quelques semaines sur un vieux film avec Bourvil, Le passe-muraille. Ça doit nous titiller la conscience collective.
Prenant! Belle envolée lyrique… Merci Jean-Luc!