#40jours #23 | fantôme

Je sors du commissariat. Ni vu ni connu. Dehors des gens font la queue devant l’interphone. Pour entrer, il faut expliquer ce qu’on fait là. Pas facile quand d’autres oreilles indiscrètes sont à l’affut du moindre fait extraordinaire qu’ils pourront raconter ensuite. C’est comme l’hôpital, on est content quand on en sort.

Je marche droit devant moi, sans savoir où je vais, perdu dans mes pensées. Je traverse la rue. Devant moi une vieille ferme, vestige des temps passés. Le portail est fermé par un gros cadenas en fer. Mais je m’en moque. Moi, Aristide, je peux le traverser puisque je suis un fantôme depuis un accident de calèche. A cette époque la ferme était en pleine activité. Les gens venaient y chercher lait frais et oeufs.

Je prends la rue du 11 novembre 1918. Cette guerre je ne l’ai pas connu, je suis mort juste avant. Je vois tous les ans des élus endimanchés venir y déposer des gerbes de fleurs au son du tambour et des trompettes. Au moins quand on est mort, on n’a pas à faire la guerre.

La rue file tout droit, je n’en voit pas le bout. Des voitures sont garées de chaque coté et la parent de couleurs. La route est comme ridée par les traces que laissent les véhicules modernes de leurs passages.

Je traverse à nouveau. Sur le sol des brindilles font un mikado. Une plaque métallique qui cache mille passages secrets leur offre un terrain de jeu improvisé.

La Seine se dévoile à moi au bout de mon voyage. Tout fantôme que je suis je ne sais pas marcher sur l’eau. Je ne possède que le pouvoir de l’invisibilité et c’est déja beaucoup. Voir sans être vu, quel délice ! Mais quelle solitude aussi. J’admire la péniche bleue dans laquelle vit un musicien passionné de jazz et de rock. Il compose inlassablement bercé par l’eau sur sa maison bateau. Je le vois, gribouillant des notes et d’autres notes encore sur son papier ligné. Puis il chante, il est heureux.

A propos de Sandrine Hertig

Mystérieuse.