Se placer sur le méridien de Greenwich, celui qui donne l’heure universelle, le parcourir et se poser sur un parallèle, le 45 pour commencer quelque part, le point 45°N 0° à Puynormand et rentrer chez moi tout droit, beaucoup de kilomètres sans parler des heures pour franchir cette distance à pied. Heureusement pour moi qui ne suit pas une bonne marcheuse, tout cela reste virtuel !
Je pars d’un rondpoint et déjà je passe par des jardins privés j’essaie d’être la plus discrète possible je ne sais pas si j’aimerai que des inconnus fassent de même chez moi je dis bonjour, précise que je ne fais que passer, je ne regarde même pas les arbres, je file tout droit. Je suis dans un champ qui vient d’être labouré je passe de monticule de terre à un autre une odeur de terre glaise dans le nez, un peu de route un garage que je n’ai pas à traverser et c’est tant mieux, me revoilà dans des champs certains avec des pieds d’un vert tendre qui pointent vers le ciel, du blé peut être, je ne suis pas assez experte pour reconnaitre quand c’est au début de la pousse.
Une bâtisse. Je pourrais la contourner mais ce serait se défaire de la ligne droite, je ferme les yeux pour que ces vieilles pierres ne me griffe pas le velouté des globes, je n’y crois pas trop de pouvoir le faire, je m’approche mets les mains en avant, je me crois dans un film et je m’attends au coupez afin de laisser place aux trucages, encore un pas et mes bras pénètrent dans la muraille suivi de mon corps tout entier, je reste un instant pour voir si je respire encore, pour sentir le poids de l’histoire conservée dans ces parois et je me retrouve dans la pénombre au cœur de ce qui devait être une belle maison bourgeoise dont il ne reste que les quatre côtés à présent, même le toit est parti tombant par strates successives, je vais beaucoup plus confiante sur l’opposé et j’essaie les yeux ouverts cette fois-ci, un seul œil pour commencer mais je ne distingue rien, sens juste une odeur de vieux, de cave jamais aérée, je continue à l’air libre sous le vent qui me débarrasse des poussières attrapées.
Des champs, des bosquets d’arbres, une réserve d’eau artificielle dans laquelle mes pieds s’enfoncent tellement le fond est vaseux, j’ai peur de trop être engluée, attrapée par je ne sais quelle chimère ravie de sa proie, j’avance en tirant ma jambe et j’en perds une première chaussure, difficile de la chercher, j’essaie vaguement de la pointe du pied mais cette consistance me répugne, l’eau est presque au-dessus de moi, je dois tirer mon visage vers le haut pour respirer, je suis amphibie, je plonge ma tête et n’obtiens qu’une bonne tasse en essayant de respirer, heureusement le fond remonte, j’ai passé cette épreuve, en prime une nouvelle chaussure s’est installée à mon pied.
Plus loin ce sont des vignes qui m’attendent, je les traverse grapillant ici et là quelques grains très verts et acide, un village sur ma droite mais trop loin pour qu’il soit sur ma ligne de mire. Encore des champs, des arbres pleins d’oiseaux qui se cherchent, le soleil qui me caresse et finit de me sécher. Je n’imaginais pas autant d’étendues sans construction, juste livrées à la culture ou à leur bon vouloir. Au pied d’un chêne je fais une halte et finis par somnoler, je rêve qu’une fourmilière géante se dirige vers moi et cherche à m’engloutir, je me sens soulevée, nous filons toujours tout droit, l’allure s’accélère et je tombe, je tombe, les fourmis disparues, je ne suis plus sous le chêne, je consulte mon gps mais il n’y a pas de réseau. Sur la boussole je suis toujours sur la voie. C’est devenu vallonné, je traverse des collines, rencontre des taupes que je dérange, des milliers d’insectes souterrains, j’ai hâte d’en finir, cette nuit me terrifie, ce goût d’eau saumâtre, cette odeur de pourriture.
Des vignes viennent me laver de tout cela et encore plus la rivière que je dois suivre avant la ville, je me laisse balloter par l’onde, attentive aux remous qui pourraient me faire dévier, ressors la ville en vue. Je vais traverser des maisons, des boutiques, des bureaux, des immeubles, des carrefours, toujours le même étonnement, de la peur aussi pour ces locaux qui voit passer fugacement cette femme échevelée, trempée, qui traverse les murs sans leur laisser le temps de réagir. J’arrive enfin à destination, fourbue, contente de l’avoir fait mais pas prête à recommencer, juste l’envie de m’asseoir et de rester à ne rien faire, surtout.
Belle ligne droite, Véronique ! Un peu éprouvante, pour toi, mais un bon moment de lecture pour moi !!