…et tout ce qui ne repoussera ni sous mes pas ni sous les rails du tramway, l’ombre du jeune Ivo Livi, canotier sur le front, qui sort de l’Alcazar, tout tremblant du succès qui roule vers lui, et qui ne sait pas en traversant le cours Belsunce qu’il franchit la porte royale. Les arcs boutants de l’église Saint-Martin n’ont laissé dans l’air de la rue Colbert ni trace ni écho, et les Érythréens qui s’abritent de la pluie sous la halle Puget, traînant avec eux un sac de couchage, sont la proie du vent qui s’engouffre dans le vide entre les colonnes ioniques. Derrière les parois qui ferment les colonnes, un commissaire houspille quelques uns de ces jeunes excités qui défilent depuis le mois de mai en rêvant à un monde meilleur. Il se félicite de l’absence d’incidents entre les manifestants et les policiers. Ceux-ci, en civil sur ordre du préfet, n’ont pas montré leur présence. Et tout s’est bien passé. Pas comme sur la place aux Œufs, le soir des barricades. Les insurgés depuis les toits lançaient des tuiles et des cailloux, une grosse femme rougeaude tentait de garder la cadence de la foule, et quand ça a commencé à tirer sur l’ordre du général, la colère a grondé plus forte que le bruit du canon, là-bas, à Castellane. Un ange passe avec le tramway. Les cloches des Grands Carmes sonnent. La queue s’allonge devant le bureau de l’association qui reçoit les demandeurs d’asile. L’étudiante au cartable vert regarde la pointe de ses chaussures. Un grand parapluie de bronze est ouvert sur la pelouse. Du linge sèche aux fenêtres. Le reflet de Barthélémy Reynaud, joue sur les vitres de deux tramways qui se croisent. Sous sa statue figure la date de 1516. Son visage a disparu. Le tramway poursuit sa courbe après la place Sadi-Carnot. Le nuage de poussière laissé par la dynamite met du temps à se redéposer. Des tonnes de terre sont charriées sur les wagonnets jusqu’à la Joliette où les blocs de béton déjà s’alignent près à être immergés pour servir de socle à la grande digue du large. Une grue est en train d’être montée au-dessus du bâtiment de la Poste. Un photographe passe la tête sous le rideau de sa chambre noire. Une élégante toute fière de son chapeau traverse en trottant à petits pas dans sa jupe qui la gêne. Un ouvrier la croise, une musette en bandoulière, retenant d’une main sa casquette car le vent se lève. Il est vêtu de bleu mais la photo est à tout jamais en noir et blanc. Il n’existe plus ni la butte des Carmes, ni celle de la Roquette. Rue Neuve Saint-Martin, un bus attend des touristes qui tardent à sortir d’un hôtel de standing installé dans un cube marron qui jouxte l’entrée d’un centre commercial en béton. Des immeubles 1900 côtoient des immeubles 2000. Les employés d’Emmaüs en ville ouvrent boutique. La sonnette du tramway retentit doucement pour avertir une piétonne de se ranger sur le côté. Aux tables rondes de la terrasse, seuls des hommes sont attablés. La bibliothèque de l’Alcazar n’ouvre ses portes qu’à treize heures. Sur les échafaudages devant la boîte automatique de retour des documents, des lambeaux d’affiches peinent à se décoller.
J’aime vraiment beaucoup, l’atmosphère, ce délié de soleil dans la vie pleine, de vrais gens, qu’on croise avec vous c’est tangible et fort
Marseille vit grâce à vous sous nos yeux. Belle promenade dans le temps et la ville.
cela m’a fait penser au film de Moholy Nagy impressions marseille vieux port : https://www.journalventilo.fr/agenda/divers/99150/impressions-du-vieux-port-moholy-nagy-benjamin-et-kracauer-a-marseille-1926-1930