Dès qu’il a pu s’asseoir, l’infirmière l’a aidé à aller jusqu’au fauteuil, devant la fenêtre. De là, il peut regarder la cour et une partie de la rue. Il voit entrer et sortir les ambulances qui viennent dégueuler leurs blessés et leurs presque morts avant de filer, parfois lestées d’un qui a été déclaré convalescent et qui part au vert. Dans la cour, il y a quelques platanes. Il y regarde les oiseaux, les pigeons, les moineaux, les pies. Les goélands n’y vont pas. Ils se perchent sur le bâti. Et ils gueulent. Il passe une bonne partie de la journée à regarder ça, les oiseaux. Le rossignol, il ne le voit pas, il l’entend lorsqu’il est couché, le merle il l’entend aussi à l’aube et il se demande s’il est le même que celui qu’il voit, le soir, perché sur la plus haute branche du platane le plus éloigné, à chanter la Marseillaise des merles, pendant que les martinets, indifférents, sifflent en rasant les toits et le sommet des platanes. Il les suit les martinets, par-dessus les toits, qui traversent la rue, la remontent un moment vers l’ouest et bifurquent plus loin, pour revenir et bifurquer encore, vers un ailleurs qu’il ne peut voir. En se penchant un peu sur la gauche, il voit le bureau des entrées où les mégots de petit-gris se fument en se donnant des nouvelles, assis sur un banc ou appuyé contre le mur. Les femmes qui viennent de loin, y entrent, inquiètes, certaines sortent, en pleurs. Il ne peut pas les voir remonter l’allée pour entrer dans son bâtiment. Dans la rue, il voit les passantes et les passants, quelques mariniers qui poussent une charrette. Et des chats. Il n’en revient pas des chats sur les trottoirs, dans la cour, qui dorment, déambulent ou se posent comme des lions veillant sur Babylone. Les humains les laissent tranquille, pas comme chez lui où ils sont bons pour la trique et se tiennent donc à distance, comme le mâle roux, pendu par les jumeaux du Grand cahier d’Agota Kristof.