un mardi matin l’entrée du métro avale goulûment son déjeuner matinal et laisse échapper entre ses dents quelques rejets qui s’échappent à contre-courant | un samedi soir la bouche dégueule un groupe de jeunes gens ivres et drôles et heureux et amusés de vivre qui célèbrent l’éphémère dans une ivresse collective | un lundi matin un homme portant costume gris et chapeau mou franchit les premières marches qui le mènent à l’échafaud souterrain en maudissant l’inventeur des lundis matin | un jeudi après-midi une jeune fille dans une ample robe violette chante du Joan Baez avec une guitare dans un parfum de henné et de patchouli juste à côté de l’escalier mécanique | un mardi soir sous la pluie la volée des parapluies qui s’ouvrent à la sortie du métro ressemble à l’envol d’une nuée de corbeaux dans laquelle se seraient perdus quelques oiseaux exotiques | un dimanche matin un homme cherche du feu pour allumer sa cigarette alors il demande à droite à gauche mais n’en trouve pas alors il file sur le boulevard clope éteinte au bec | un jeudi matin une ménagère loupe la dernière marche et s’affale sur le parvis avec sa salade qui vole et ses oranges qui roulent de son cabas | un mercredi après-midi une ribambelle d’enfants bien en rang par deux et se donnant la main se font engloutir par la bouche de métro en chantant une chanson d’Anne Sylvestre | un dimanche soir ils s’embrassent longuement au milieu des marches en se faisant mille promesses en reprenant leur respiration avant de se quitter et partir dans des directions opposées | un vendredi matin il nettoie consciencieusement toutes les marches avec son balai en plastique et son habit phosphorescent qui le fait ressembler à un ver luisant géant | un mercredi soir ils s’insultent de part et d’autres de la bouche de métro au dessus de la tête des passants qui regardent amusés les noms d’oiseaux les survoler | un jeudi après-midi elle s’assoit sur la dernière marche et pleure alors un jeune homme passe et lui passe le bras autour du cou et il s’assoit à son côté et elle le regarde en esquissant un sourire tout en continuant à pleurer | un lundi après-midi le vieil homme ajuste le haut de son manteau et resserre son écharpe autour de son cou avant de marcher d’un pas incertain entre les congères de neige grise et dure et sale et froide | un mardi après-midi il monte les marches quatre à quatre avant de s’arrêter en haut poings levés en regardant le ciel et en fredonnant l’air de Rocky | jeudi soir une petite fille avec sur le dos un cartable plus gros qu’elle peine à franchir les dernières marches de l’escalier mécanique en panne | un dimanche matin il n’y a plus personne devant la bouche de métro comme si le film s’était arrêté
Il y a tout dans ce texte : temps qui s’affolle, drame, poésie, mouvement, couleur ! Et c’est merveilleusement écrit ! Merci !
Merci beaucoup Helena.
je te suggère pour la chanson d’Anne Sylvestre, celle qui se termine par : » je dis ce que je dois » (https://www.youtube.com/watch?v=uDwkl8_YyBE)
Je l’ai écoutée. J’ai toujours aimé Anne Sylvestre. Quand j’étais enfant elle était celle qui me glissait des idées d’adultes à mes oreilles d’enfants. Je l’ai toujours aimée.
Terriblement vivant et fluide !
Merci JLuc !
Tu sais, ces collections d’images qu’on colle dans des albums. C’est un peu ça dans mon esprit. Merci.
quelle bonne idée ce point de vue, et j’aime la distance, le rythme, ça pourrait continuer encore, on aurait envie de les recroiser ces personnages
Les recroiser dans un roman. J’ai un ou deux projets d’écriture qui fonctionnent comme ça. Merci de ta lecture Caroline.
Bravo, quel scénario, j’aimerais voir le film, un film en super 8 (c’est un compliment).
Bonne idée. J’aimerai aussi le voir ce film. Même s’il existe déjà dans les têtes.