J’essaie d’ordonner mes journées et ce n’est pas toujours facile. Le juge apparaît dix fois dans la journée, cela égrène le temps, à trois juges je déjeune, à six juges, je dîne, entre temps il faut que je m’occupe. Souvent je peine à m’opposer à la léthargie qui m’envahit, je me lève et puis je me recouche, je me lève de nouveau pour voir ce qu’il y a à manger, je mange les yeux plongés dans l’écran et je me recouche. La vie ne m’appelle en rien, je ne sais pas ce que je fais ici, rien n’a de sens, heureusement il y a l’écran, large et plein qui diffuse de façon ininterrompue un flot d’images devant lesquelles je m’endors de nouveau. Au dixième juge, il fait généralement nuit, son image devient phosphorescente. Parfois je rentre dans les images, il me semble vivre ce qui se passe sur l’écran, mais je peux aussi bien les percevoir comme un vague bourdonnement une agitation colorée comme des liquides de différentes couleurs qui se mélangent avec difficulté. La nuit tombe et je n’ai fait que somnoler, un immense découragement m’assaille. Je décide de me reprendre en main dès le lendemain. Au lever, je m’applique à la gym, j’agite mon corps dans tous les sens, je le plie je l’étire je le tends je le contracte je le détends, j’en sors comme nourrie de l’intérieur. Je m’autorise un moment de pause assise à la suite de quoi je prends une collation que j’apprécie beaucoup mieux. Je déballe ce que contient le coffre d’activités. J’en prévois deux au moins, une entre le deuxième et le troisième juge, l’autre entre le quatrième et le sixième, j’ai le droit de ne pas terminer. Sans ces activités je crois bien que ma vie serait une désolation totale, mais il me faut tout de même me forcer un peu pour m’y mettre. Je créé des règles, des règles un peu arbitraires comme faire dix pas du coffre à la fenêtre et rebours, puis refaire le même trajet à cloche-pied, le même à quatre pattes, j’appelle cela faire l’ours, la grue, le tigre ensuite je fais trois fois le tour du coffre. Puis je dois caresser le coffre dans le sens de la largeur de manière à avoir touché toute la surface du couvercle puis sa face, ses côtés, l’arrière du coffre, je l’ouvre en fermant les yeux je plonge mes mains ce sont elles qui décident de l’activité du jour, elles ou le hasard c’est la même chose. Je décide de m’y adonner jusqu’à la prochaine apparition du juge. Mais après le premier repas, je me rajoute un juge. Alors je remets tout dans le coffre, je prends un dernier repas et j’aborde le moment le plus pénible, quand je n’ai plus envie de rien, et pas encore sommeil, l’écran me distrait, mais je m’en lasse, je ne peux pas m’imaginer sans, mais je m’en lasse quand même. Je voudrais le toucher, c’est la seule chose qui me soit visible et que je ne peux pas toucher. Je peux toucher le fond de mon tube, moelleux et doux. Je peux toucher le coffre lisse et frais, je peux toucher ma fenêtre parfois fraîche parfois moins, presque tiède, je peux toucher mes murs au grain soyeux et chacun des objets qui se trouve ici, je peux toucher l’eau et les robinets d’où elle découle, je peux toucher ma nourriture et mon propre corps, je ne peux pas toucher l’écran et ça me chiffonne, parfois je tends les bras vers lui, mes mains se cognent à la vitre, et quelque chose d’indéfinissable se fêle en moi. Cela me peine.