Assise en bord de chaises, elle regarde le régisseur aller et venir, les câbles en main. Lui au téléphone, lui les bras croisés, lui qui cherche, lui les poings sur les hanches. Pas d’électricité, pas de spectacle. La slameuse sourit au soleil, s’effleure la peau.
Compte des spectateurs : 18, 16, 12… ils s’en vont par paire. Essayer de les retenir : encore un peu de patience, on a un problème technique, les plombs ont sauté. Dans quinze petites minutes, …
Du vent dans les guêpes, le temps s’est arrêté autour des courses des techniciens. Le vendeur de bières est appuyé au comptoir du camion. Trois clients, les mêmes depuis vingt minutes, commentent la panne. Tour d’horizon, la fête du village a investi l’agora mais l’attente rend aux habitants de la cité la propriété des lieux. Les chaises sont vides. Une mobylette traverse la place. Un chien sillonne entre les rebonds d’un garçon qui drible. Les voix s’aiguisent, les cris, les rires, les bousculades.
Après le slam, le violoncelle amplifié. Avant, les marionnettes. C’est ce qui était prévu. Mais le violoncelle est contre un arbre, dans sa boîte. Pas d’archer, pas de doigts. La vie enfermée dans une coque abandonnée.
Soudain, la lumière jaillit du castelet. Du courant ! Soudain, elle disparaît et l’espoir n’a même pas traversé tout le monde. Le chien n’a rien vu, balle en gueule, il glisse sous les caresses, hésite aux sifflements de sa maîtresse, repart vers le public qui se laisse bercer par l’attente.
Un homme en djellabah vient saluer ses voisins. Il fait une pause dans la fête de l’Aïd. C’est samedi. Pour une fois, il peut profiter de sa famille, du soleil et du vent. Il y retournera dans un instant.
Une fillette a raté la première séance de marionnettes. Il n’y a pas de barbe à papa. Elle loope sur sa trottinette. Regarde-moi.
Dans quinze minutes, madame, on essaie de réparer le… Des transats éphémères plient sous le poids des corps en trêve. La suspension de l’offre ne résilie aucune demande. La langueur est paisible.
La slameuse se lève et va vers le violoncelliste qu’elle ne connaît pas. Accroupie face à lui, elle décide de rompre le guet. Ensemble, on peut. Ensemble, tu veux ? Et l’homme est d’accord, avec respect, avec juste un peu de crainte de trahir les mots. Elle se lève et va vers son histoire, ses violences et ses douleurs. Elle vibre et l’instrument la frôle, elle tremble, il douce, elle grave, il s’éteint. Les assis, les passantes, tout est apnée. Temps suspendu, ajourné par l’inattendu.
Un chien dépose une balle au pied du musicien et attend en remuant la queue.