#40jours #19 | on vous recontactera

Pas question de patienter,  pas d’indication suffisante pour imaginer une durée.  L’homme qui nous reçoit  dit  juste entrez. Attendez là. Il tourne la poignée métallique de la porte,  il tire vers lui  la porte, il se met ensuite de côté pour s’effacer, laisser passer. L’homme laisser-passer se déplace de côté laissant libre le seul passage possible vers  la  grande pièce. Une pièce qui n’est ni un bureau, ni une pièce dont on pourrait imaginer qu’elle pourrait avoir une autre fonction que celle d’être La pièce où il faut attendre. Comme si un architecte, à l’origine même de ce projet d’immeuble avait reçu comme consigne ou bien peut être s’était-t’il donné cette contrainte créative : créer dans cet immeuble une pièce au 3eme étage  spécialement destinée à attendre.

Une  pièce  vaste qui ne peut de façon sensée servir à autre chose qu’à l’attente, en ayant pris la décision d’installer des chaises à peine espacées les unes des autres et  de façon très ordonnée  tout autour de cet espace vide. Et quelqu’un, peut-etre se sont-ils mis à plusieurs, quelqu’un ou quelques uns ont   pris garde de respecter scrupuleusement cette consigné. Pas d’autre mobilier que ces chaises.  Et ça fonctionne. Des gens sont entrés. Des gens se sont assis sur les  chaises.  Des gens ont tout de suite compris la situation, la fonction de ces chaises, de la pièce. Des gens ont tout de suite été d’accord pour jouer le jeu. Ils sont entrés ici et la pour attendre. Parce qu’on leur avait simplement demandé de le faire.

Et désormais des gens  sont  déjà là, assis  dans l’attente,  ils se sont déjà accommodés à l’attente. Ou peut-être qu’ ils tentent de s’y accommoder. Comme ils peuvent. Ce n’est pas si facile d’attendre quand on ne s’y attend pas, avant d’être plus ou moins obligés de le faire. On ne fait pas ce qu’on veut en tous cas ici. Il est nécessaire ou preferable d’obéir à cette  contrainte d’attendre. Et on fait comme on peut  quand on ne possède aucune indication concernant  la durée de cette attente,  en tous cas il parait évident qu’on ne s’accommode pas ainsi comme on veut, mais comme on peut . Meme si. pour l’instant, on pourrait encore estimer qu’on puisse encore attendre dans un certain  confort. il y a encore beaucoup de chaises vides entre les gens, les gens respirent apparemment encore correctement.

On baisse les yeux pour observer le sol, une moquette épaisse de couleur grise,on peut laisser errer le regard sur une bonne partie du revêtement de sol jusqu’au pieds des chaises vides, des tubulures sans fantaisie, ou encore vers les chaussures que portent les gens assis sur les chaises occupées. On peut prendre le temps de regarder l’usure des semelles, analyser sommairement la qualité, la souplesse du cuir, du tissus, de ces souliers, escarpins, bottines, chaussures de ville la plupart du temps, sauf une ou deux plutôt tennis ou baskets. Dont le blanc est plus ou moins blanc plus ou moins douteux. Ca passe le temps.
On les relève la salle est pleine, plus aucune chaise vide autour de l’immensité vide de l’espace, toutes les chaises sont occupés par des personnes à qui le même homme a dit d’attendre. L’a t’il dit sur le ton particulier qui intime un ordre, l’a t’il dit poliment , on se demande, ça passe le temps pendant qu’on attend. 

 On peut lever les yeux doucement examiner les jambes elles sont soient nues, gainées de soie, revêtues d’un bas de pantalon, ou bien ce ne sont que guiboles s’arrêtant à mi cuisses, recouvertes de tissus sobres ou fantaisiste. On n’ose guère monter plus haut que les jambes et cela devient un défi. Une sorte de passe-temps, on tente surtout sans se faire remarquer. C’est un minuscule acte de résistance dans l’attente. parfois on tente et on rate ce n’est pas grave, on a le temps on recommence on tente on rate ce n’est pas grave on recommencera tant qu’il sera question d’attendre.

On vous recontactera ont dit la femme et l’homme après que nombre de personnes eurent finit d’attendre pour qu’on leur fasse passer toute une batterie de tests. Personne n’a protesté, personne n’a osé la ramener, questionner. On est tous ressorti par la porte, la même  par laquelle on était entré , on a retraversé l’immense salle d’attente et on a vu que d’autres gens étaient déjà là assis sur ces chaises, nos anciennes chaises ça nous a effleuré, puis on s’est repris on a supprimé les possessifs, c’était les chaises sur lesquelles nous avions attendu un certain temps. Combien de temps, difficile à dire.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

4 commentaires à propos de “#40jours #19 | on vous recontactera”

  1. J’aime beaucoup l’utilisation que vous faites du pronom « nous », qui se dilue à mesure de l’analyse sociologique, pour devenir plus impersonnel et générique (tout être humain a déjà attendu et ressenti ce que vous écrivez !). Vers la fin, le « On est tous ressortis par la porte » a agi sur moi comme un électrochoc : retour au narrateur interne, qui a peut-être pu, l’espace d’un instant, se déposséder de son ennui d’attendre. Merci à l’auteur pour lui.

    • Et bien Grégory merci, j’ai l’impression que c’est comme lorsque je suis en expo, que l’on me parle de mes tableaux, les gens y voient tout un tas de choses que je n’ai pas vues en les peignant 😉

  2. Vous rendez bien le profond ennui, l’arbitraire et la passivité forcée de l’attente, agrémentée d’incises visuelles sans conséquences, même pas divertissantes. On attend en regardant ce qu’on a devant soi et on en fait pas un fromage, on attend sagement la quille. C’est l’anonymat et le silence dans cette scène très familière qui pèsent énormément sur la perception d’éternisation de l’attente. Même pas envie de calculer la durée moyenne de chaque passage de client.e (s) après qu’ielle ait libéré sa moche chaise que l’on devine raide pour le dos. Même pas envie de regarder ce qu’il y a sur le mur… On sent le désintérêt abyssal pour le lieu dans l’attente… On sait que ça va se terminer… Regarde-t-on la montre ? On aurait eu le temps de lire ou d’écrire… On ne l’a pas fait ?

    • Merci Marie-Thérèse, j’utilise la langue parlée, pas seulement la mienne mais une sorte de mixage, pour écrire, très souvent, c’est une façon de résister à la « belle écriture » et aussi de donner « une voix » sur le papier à ce qui n’en a pas en dehors des textes.

      donc le « on » vient naturellement quand je tapote les touches du clavier.