Danielle, qui avait tant reproché à sa mère ses visites chez le dentiste tous les jeudis après-midi de son adolescence, envoya pourtant sa fille, tous les mercredis après-midi (à compter de la rentrée de 1972, le jour d’interruption des classes au cours de la semaine scolaire, est passé du jeudi au mercredi) chez un ponte de l’orthodontie, le docteur Gondrin. Il la faisait poireauter des heures pour resserrer ou desserrer ses bagues d’un simple tour de clé ( l’affaire durait 30 secondes, montre en main). Alice qui n’avait que onze ans n’osait rien dire. Elle passa donc ses mercredis à regarder les plafonds hauts de la salle d’attente (la cabinet se trouvait dans un immeuble bourgeois), à feuilleter les vieux Jour de France, à guetter les allers et venues de l’assistante du docteur, un être fantomatique qui passait furtivement devant la porte de la salle d’attente (on entendait le couinement de ses chaussures de caoutchouc). De temps en temps, elle glissait sa tête pâle et grise dans l’entrebâillement de la porte et regardait Alice d’un air navré puis refermait discrètement les battants et s’en allait, avec parfois de légers craquements de parquet. Le plus étonnant est que personne d’autre n’attendait dans ce grand salon. Alice était seule, avec ce grand morceau de silence à avaler.