Tu savais qu’un jour ça arriverait, et même souvent. Tu savais qu’en choisissant de vivre à cet endroit, tu te trouverais dans la panade. Cinq kilomètres à travers un défilé rocheux et un pont du XVe à voie unique pour franchir une rivière, tu penses, c’était couru d’avance. Une remorque qui perd une roue, une charrette qui vire son chargement, un blocage du pont pour travaux, une pluie violente, ça n’est pas rare. Il existe un moyen de couper par la montagne ou alors faire le grand tour par le Nord. Trente kilomètres en sus. Alors en général tu patientes. Une émission de radio, un livre dans le sac, quelques pastilles de menthe. En général tu n’as pas besoin de faire d’effort, juste attendre, te mettre entre parenthèse le temps qu’il faut mais cette fois ça a l’air sérieux. Au bout de vingt minutes, la file de véhicules dépasse la courbe après le café-glacier. Camion de pompiers garé en face sur l’aire réservée, tu l’as vu tout de suite et ça t’a inquiétée, tu ne peux pas dire le contraire. Aussi deux voitures de service avec bandes rouges et blanches sur le côté. Des types attablés en terrasse se sont levés, regardent en direction du pont. Agitation du côté des premières voitures, un agent vêtu de bleu marine leur demande de reculer contre le muret. Tu calmes le jeu, inutile de t’énerver, d’ailleurs tu peux encore faire demi-tour, passer par le Nord. Tu y penses. Certains le font. Tu te surprends à espérer et tu t’en veux. La file remonte maintenant jusqu’aux bassins à poissons et le cafetier fait des affaires. Tu as cessé de regarder l’heure au tableau de bord. Tu as baissé les vitres. Tu observes les allées et venues de ceux qui sont descendus des voitures et qui vont aux nouvelles. En short pour la plupart, en vêtements d’été. Ils remuent les bras, s’agacent. Leurs joues s’enfièvrent. Des portes claquent, des cris. Tu résistes, tu t’aguerris, tu te figes dans l’attente derrière le volant. À supposer qu’il y a eu un accident grave, une chute. Un jeune a pu sauter du pont, ils le font souvent, une preuve de courage. Tu envisages de t’installer sur le siège de droite plus confortable, finalement tu renonces, lèves simplement le genou contre la portière. En fait tu n’as pas bien repéré le moment, pourtant ça vient juste de se passer, ça a basculé, le temps a changé d’amplitude et de consistance. Tu peux entendre le bruit de ton propre sang et tu peux suivre le fil de tes pensées pareil à un récit qui s’invente à partir de minuscules détails. Les insectes vibrent dans l’air chaud. Les types fument une cigarette, assis sous les arbres. Ici et maintenant, et ton livre est ouvert sur le siège passager.
On suit ce chemin habituel en confiance et puis quelque chose survient et perturbe tout. C’est très bien raconté, on y est !
j’voulais pas tomber dans les embouteillages et finalement…
je m’efforce dans la mesure du possible de rester autour du même lieu village pour essayer de dégager une cohérence à ces textes d’atelier pour l’instant disparates…
alors pas eu le choix !
et ravie de ton passage…
on n’en saura pas plus – qu’est-ce qu’on fait ? on attend ? – trop bien
je ne me suis pas décidée à faire venir une ambulance pour un gosse qui aurait shooté un rocher ou pour une dame qui aurait chuté dans les rochers
j’ai laissé le suspense…
merci Piero pour ton passage…
Complètement prise dans cette attente. Quel récit ! C’est à l’arrêt et totalement vivant.
j’essaie de rester dans le temps que je me donne…
sinon ça pourrait se fouiller sans limites, l’attente n’a pas de fin n’est ce pas ?
merci Nat
« En fait tu n’as pas bien repéré le moment, pourtant ça vient juste de se passer, ça a basculé, le temps a changé d’amplitude et de consistance. Tu peux entendre le bruit de ton propre sang et tu peux suivre le fil de tes pensées pareil à un récit qui s’invente à partir de minuscules détails. » C’est comme cela que je ressens le processus de l’écriture, le temps qui bascule dans une autre dimension qui pour moi est aussi mystérieuse qu’effrayante. Parce que l’on se demande si on en revient intact et que la réponse est peut-être pas. Merci, Françoise !
l’intéressant, c’est ce qui se passe au cours de l’écriture comme au cours de l’attente… mais on ne le sait qu’après l’avoir vécu
merci pour ta lecture, chère Helena
L’embouteillage en coin perdu c’est une surprise, la posture de l’attente très bien rendue, j’ai envie de citer le même passage qu’Helena qui ouvre terriblement non vers résolution d’énigme mais quelque chose de plus intérieur de plus expérientiel comme on dit et ça c’est très touchant
il fallait que j’aille quelque part mais je n’avais rien prévu
c’est venu naturellement à force d’attendre…
heureuse de vous voir par ici, chère Catherine P.
Moi aussi, c’est le passage cité par Helena qui m’a bouleversé.
Tout ton beau texte est prenant. Tu nous transporte et tu nous tiens !
Merci Françoise.
pas eu le temps d’aller beaucoup lire les autres aujourd’hui… je vais essayer de me rattraper
j’espère bien que je te tiens… cher Fil !
à demain
Encore une lecture touchée par ce basculement entre étrange et hypnose de l’ennui à la fin, belle montée en intensité sur quelques mètres, et tord les consignes pour ne pas changer de village ! La série sera belle,
oui peut être ai je trouvé là une certaine ligne de force pour tenir ce cycle des 40… de toute façon je n’ai pas vraiment de « ville » sous la main, alors je compose
et je regarde autour de moi
merci Catherine pour ce soutien…