Les deux derniers randonneurs sont derrière la butte depuis un moment déjà, plus grand monde ne devrait passer par là. Tu as installé ton trépied au bord du chemin, réfléchi au cadrage, les sapins, les montagnes dans le fond, les douces courbes du terrain qui ondulent sous les rhododendrons. Sans oublier les nuages, même s’ils auraient pu être plus nombreux à nous raconter des histoires dans le ciel. Ici en hiver, il y a des pistes de ski, remontées mécaniques, poteaux garnis de tourniquets, cabanes sommaires pour ceux qui tendent la perche aux skieurs, pour la plupart ignorants, voire indifférents à ce qui vit sous eux et ressort au grand jour une fois que le vert a remplacé le blanc. Petit, toi aussi tu les aimais les remonte-pentes, pas la fatigue de la montée, juste le plaisir de la descente et des virages, sentir le poids ton corps sur un pied, sur l’autre, te pencher dans les courbes, le vent, l’ivresse de la vitesse. Et puis tu as grandi. Les pistes tu les connaissais, il y avait la foule, le bruit. Alors tu es passé aux peaux de phoque, aux raquettes, aux longs arrêts pour que les animaux prennent confiance et reviennent, pour écouter les oiseaux, les reconnaitre à leurs intonations en amis de la famille. Tu as pris goût à l’attente, comme ce soir où tu attends que le soleil se couche, que la lumière se réchauffe, prenne des teintes de bonbons acidulés, que tous les autres soient rentrés dans leurs maisons et te laissent toute la nature pour toi tout seul. Alors en attendant tu prends du temps pour tout ce qui est autour de toi, cailloux, montagnes, insectes, feuilles, découpage des feuilles, assemblage des feuilles, l’attente te donne le temps de regarder ce que tu ne vois pas lorsque tu ne fais que passer. L’attente te donne aussi du temps pour ce qui est en toi, pensées, réflexions, comment l’une entraine l’autre, comment elles se répondent, se renvoient ton attention. D’ailleurs, attente, attention, deux mots si proches, pas possible qu’ils n’aient rien en commun, alors oui, tu te dis que finalement toi tu l’aimes l’attente, tu la chéris. Parce qu’elle aiguise ton attention, elle te donne tout ce que le mouvement te refuse.
Vous devez aimer la nature pour en parler si bien. Merci
« D’ailleurs, attente, attention, deux mots si proches, pas possible qu’ils n’aient rien en commun. »
Ça me donne envie de creuser la question.
Bien envie aussi, pas impossible que ça se fasse un de ces 4…