#40jours #18 | sur aucune carte

Souvent je suis rentrée chez moi. J’ai mis la clé dans la serrure d’une porte rouge. D’une porte d’un bleu âgé. J’ai tourné le verrou d’une porte beige et d’une porte grise. Parfois la clé était sous le paillasson où je frottais mes pieds chargés du poids de ma ville, la laisser derrière la porte précédée de quelques marches. D’un jardin à l’herbe un peu haute, bordées d’hortensias mauves bleus et roses. D’une cours avec un olivier. J’ai rejoint la porte le paillasson après avoir fait résonner mes pas dans une cage d’escalier d’un immeuble de trois étages, le dernier. D’un immeuble de 10 étages, le dernier, ascenseur en panne. Compter les marches jusque chez moi. Marcher dans une rue calme accompagnée d’oiseaux et d’arbres gris verts et bruns. Marcher entre de hauts bâtiments tristes parce qu’identiques en hauteur, en largeur, identiques de couleurs délavées, identiques en nombre d’années, identiques de destins, leur destin d’être loin oubliés. Je suis rentrée chez moi par l’escalator, la bouche du métro et le bus arrêt demandé abonnement mensuel et le train prenez garde à l’espace entre le marche pied et le quai le train du soir après le train du matin. Souvent je suis rentrée chez moi en voiture, les courses les enfants le garage les sacs à vider le linge à faire tourner le repas à préparer. Je suis rentrée chez moi en traversant des villes des panneaux d’entrée des panneaux de sortie des ralentisseurs des feux des piétons des lumières des commerces des cafés des terrasses. Souvent je me suis arrêtée avant de rentrer chez moi. Souvent je ne voulais pas rentrer chez moi. Je n’ai pas fait la liste des portes des escaliers des rues des villes. Souvent j’ai oublié les chemins du chez moi. Mes chez moi ne s’additionnent pas. Les marches jusque mes chez moi ne s’additionnent pas. Les portes rouges ne s’additionnent pas aux portes bleues. Les jardins ne s’additionnent pas à l’asphalte et aux passages piétons. Les étages des chez moi ne s’additionnent pas. Mes chez moi s’accumulent mais ne s’additionnent pas. Ils flottent mes chez moi. J’y suis rentrée et ils flottent. Ils ne font pas un grand chez moi. J’y suis rentrée puis je suis partie et ils flottent. J’ai cherché un autre chez moi pour y rentrer pour y rester. Je voulais rentrer chez moi. J’ai vu les portes et les villes et les rues et les escaliers qui ne s’additionnaient pas qui flottaient j’ai vu les trains les bus les métros les arbres les lumières les stations-services les guichets puis j’ai arrêté de regarder. Je voulais rentrer chez moi. J’ai trouvé un chemin. Il n’était sur aucune carte des chez moi. Il était caché au-dedans de moi. Mon chez moi était là.

A propos de Rebecca Armstrong

J'aime la voix alors j'ai fait de la radio (associative), je produis des podcasts et mon métier c'est de faire lien avec ma voix. J'ai écrit, vraiment pour la première fois, récemment. Un manuscrit instinctif est né: des flashs d'un temps passé disons. Il s'appelle "1.2.3". Je souhaite désormais explorer l'écrire avec la profondeur que je sens ici, avec tout l'enthousiasme de la novice. (Et au fait, j'aime les tatouages, les apéros, les lecture à voix haute, mon potager minuscule, courir le matin et lire)

13 commentaires à propos de “#40jours #18 | sur aucune carte”

  1. Oh j’aime beaucoup ton texte, notamment la bascule du « souvent » à l’impossibilité de l’addition. Un texte à dire à haute voix 🙂

  2. La maison mentale comme « chez soi » transposable n’importe où, mais la couleur de la porte dans ton beau texte aide à la situer dans le mouvement de quitter et retrouver, un temps s’écoule, un trajet s’incruste, les habitudes aussi, parfois incompatibles avec l’envie d’autre chose, d’un autre « chez soi ». La maison mentale enracine les contradictions et laisse les murs porteurs faire leur office… au mieux…
    https://www.youtube.com/watch?v=wKmETPCuGYA

  3. C’est beau, ces chez moi multiples.
    C’est beau ce chez moi unique.
    Merci, Rebecca !!

  4. Et ce poème de Baudelaire qui dit

    – Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ?
    Puis
    – Ta patrie ?
    – J’ignore sous quelle latitude elle est située.
    Et se termine par
    – Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
    – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas…
    là-bas… les merveilleux nuages !

    Les nuages qui flottent comme tes chez toi…
    Merci Rebecca

  5. les couleurs nous guident, le bruit des portes et des escaliers,
    et puis soudain ton  » je ne voulais pas rentrer chez moi »
    la quête d’un lieu en soi réclame sans doute de longues errances à travers les villes et les nuits
    heureuse d’avoir trouvé le chemin…

    • Merci Françoise d’être passée me lire. La question de l’habiter, des racines qui iraient avec, me parle vraiment depuis un bout de temps donc c’est chouette de pouvoir m’en saisir via ce Rentrer.