Voyager en train en regardant par la vitre les paysages défiler, remplir la tête vidée. Collines sombres aux arbres nus au fond de vallées étroites. Des maisons sans habitants. On suit la vallée du regard. La rivière pleine de mousse de remous puis longue ligne sinueuse marron entre peupliers et champs dénudés, un petit lac sombre. Endroits morne de vie. Arrêt Culoz; vallée qui s’aplatit; des gens sortent du train, moi étonné de voir des gens habiter à Culoz. Que font les gens qui habitent ici cloitrés qu’ils sont au coeur de l’Ain, des montagnes? Arrêt Seyssel Corbonod: il n’y a quasiment que la gare puis quelques hangars. Les rails y dominent le paysage. Perdu mais connecté à un ailleurs. Puis le train passe entre des buttes où la nature paraît seconde puis on s’enfonce dans une suite de tunnels de noir en noir, prémisse d’un moment important jusqu’au dernier tunnel comme un long noir, une coupe dans la dramaturgie du voyage et je sais ce qu’il advient après et je peux l’intégrer à cette dramaturgie et ce qui arrive c’est Bellegarde, on débouche sur une ville entre trois collines où la vue s’étend dans de grandes pentes profondes, grand pont suspendu, une vallée qui s’ouvre. Bellegarde: un endroit charnière où la masse des voyageurs descend pour attendre une correspondance. Plusieurs quais qu’on observe et réobserve pendant une bonne heure d’attente. On fait quatre pas par là puis on revient en regardant autour, comme si on continuait le voyage tête vide et qu’on remplissait la tête par le balayage des visages et corps des autres voyageurs tout en conservant prudemment un regard non intrusif. Les corps vite balayés mais repassés plusieurs fois sont identifiés dans leur espace, évolution dans cet espace, de petites histoires se mettent en place: l’un s’assoit sur un banc lit son livre, le ferme, se lève, sort une cigarette, regarde autour de lui, demande qu’on lui garde son sac pour aller aux toilettes, revient et ainsi de suite. Solitude de ce moment d’attente partagé. Et communauté de l’attente qui nous permet de vivre ce moment vidé. Le dernier train me ramène dans le familier des gares de chez moi; on dirait qu’il va de plus en plus vite. Plus ça avance, plus je sens le confort de connaitre les lieux , je me sens proche des gens qui s’arrêtent à chaque gare. Arrêt Valéry: gare qui reste lointaine, étrangère fascinante, point géographique isolé. Puis les familières St Julien en Genevois, Annemasse, Bons en Chablais, Perrignier et Thonon les bains. Fin du voyage dans la gorge de la Dranse en voiture dans laquelle je m’enfonce dans un oubli du passé proche.