Il est petit, il est rond, il paraît lisse et pourtant la main y décèle quelques aspérités. Elle l’a vu là. Il y en avait des gris, des multicolores aussi, il y avait les beaux morceaux de verre poli. Elle l’a vu là. Elle l’a ramassé. Alors elle a pu rentrer. Le petit caillou blanc. Elle ira là, là où elle le déposera. Là où elle le déposera, elle poussera la porte. Et là, elle habitera
Elle a longé la plage, elle a pris la route, il y avait à sa gauche le bunker et à sa droite la mer. Elle a parcouru les dunes. Un phoque nageait sur le dos, l’air hilare et bonhomme, la moustache irisée que traversaient les rayons du soleil. Elle a regardé le phoque. Elle a posé le caillou. Là elle habitera. Elle a regardé le phoque. Elle a passé la nuit. Il a fait froid. Il a fait chaud. Il y a eu des étoiles, puis des nuages. A sa gauche il y avait à nouveau un grand bunker plein de graffitis partiellement immergé et à l’entrée d’inquiétants remous. Le mur de l’Atlantique, le béton, les poutrelles déglinguées. Il y a eu le matin. Elle a levé les yeux. Elle a regardé le soleil. Le phoque n’était plus là. Elle a ramassé le petit caillou blanc.
Elle a longé la plage qui menait vers le port. A sa droite il y avait la chapelle. Dans la chapelle un toit de bois comme une coque de bateau renversée. Au bout des poutres, il y avait des monstres la gueule ouverte et des sirènes aussi et toute sorte d’animaux merveilleux. Dehors les pierres étaient mangées de lichen, orange et gris. Sur le calvaire, les larrons et le Christ, le visage arrondi tout rongé par le temps. Elle n’a pas posé le caillou blanc, ce n’était pas encore le bon endroit.
Il y a le vent. Elle longe la mer. Plus loin il y a le port, les terrasses de café, des toits, il y a aussi la grande silhouette rectiligne du phare. Il y a le vent. Elle garde le poing serré autour du petit caillou blanc. Ce n’est pas encore là.
Il y a eu des routes et puis d’autres routes. Parfois aussi, des corps. Souvent devant les corps, elle a déposé le caillou blanc. Elle ira là, là où elle le déposera. Là où elle le déposera, elle poussera la porte. Et là elle habitera. Les corps étaient sur des lits, parfois sur des chaises, dans des intérieurs plein de tissus, de fenêtres et de lampes. Ils avaient des odeurs et émettaient des sons. Souvent, les fenêtres donnaient sur des cours. Il faisait chaud. La lumière était belle. Elle éclairait les plis de la peau et moirait les étoffes si bien qu’elle confondait souvent la peau et les étoffes, le même éclat, la même douceur. Les fenêtres donnaient sur des cours et dans la cour on percevait les bruits atténués de la ville, doux et aquatiques, comme le chœur des grenouilles au bord d’un marais, un bruit doux comme un flux, doux comme les sons qui traversent le corps repu. Il y avait des portes, ce n’est pas pareil une porte selon qu’on la regarde depuis l’intérieur ou depuis l’extérieur, il est troublant le dehors, elle est troublante la porte qui n’a pas été ouverte, plus troublante encore que la porte que l’on referme, avant de se baisser lentement pour ramasser le petit caillou blanc. Ce n’est pas encore là.
Elle longe des routes, elle longe des rues. Le petit caillou blanc est tout patiné. Elle se souvient du temps où il se logeait au creux de sa main et où elle percevait encore la partie lisse et par endroits, quelques aspérités. Il est lisse maintenant, lisse partout le petit caillou blanc.
Il y a cette allée et puis la forêt, il y a la montagne aussi, et au loin on entend le bruit de la mer. Ça sent le pin, ça sent le sud, les algues aussi. La terre est si chaude qu’elle paraît gonfler puis se rétracter. C’est le paysage entier qui respire. Il y a les toits tout roses. L’horizon là bas se dilue dans la brume. Il y a une allée. Il y a un portail. Derrière, une étendue de gravier et puis le jardin. Les saisons sont sonores. Le temps lui-même émet de petits bruits. Peut-être y a-t-il un chat. Peut-être des corps aussi dans la maison. Peut-être flotte-t-il dans l’air des odeurs d’aromates.
Peut-être.
Elle se penche à l’entrée. Elle dépose le petit caillou blanc.
Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours