La Ferrari avait été pulvérisée sous l’impact. Anéantie. Quelques restes de tôles compressées. À l’orée de la forêt, le virage pour descendre vers la ville était un piège. Surtout à quatre heures du matin. Une courbe traîtresse où nombre de fêtards de la région avaient payé leur dû. Le nuage, mélange de poussières et de fumées, retombait lentement entre les arbres. Cindy était miraculeusement indemne. Sa petite robe noire Chanel était en lambeaux, sa longue chevelure blonde était devenue crinière sauvage. Elle n’avait qu’une seule chaussure, de ces talons aiguilles si finement ciselées qu’ils paraissaient en verre. Elle l’enleva et la prit entre ses doigts. Sous ses pieds nus, dans la terre humide et froide, elle laissait des empreintes éphémères.
À la lumière d’une lune pleine, elle rejoignit le sentier qui descendait vers la ville. Elle le connaissait bien, ce sentier. Elle savait où trouver les mûres et les framboises. Les fraises parfois. Quand c’était la saison. L’étroit chemin serpentait entre les grands pins que la nuit avait fait grandir. Plus bas, elle distinguait les lumières de la ville qui dormait encore. Les arbres se firent moins majestueux, les sacs plastiques plus nombreux. Les effets du cachet d’ectasy s’estompaient lentement.
Lorsqu’elle arriva aux abords de la cité, elle s’arrêta et s’assit sur un des derniers rochers avant de retrouver le goudron de la route. Elle prit ses pieds entre les mains et les frictionna. Sur ce rocher, elle avait reçu son premier baiser. Mo était son prince mais il était parti. Mo était son prince et elle le cherchait dans les soirées qu’elle écumait dans la région.
Elle les connaissait, ces barres d’immeubles. Lorsqu’elle était enfant et qu’elle est arrivée ici avec sa mère, il lui a fallu du temps pour sécher ses larmes. La disparition de son père, emporté par l’amiante des chantiers navals, elle s’était dit qu’elle n’arrivait pas à y survivre. Aujourd’hui, la silhouette imposante et familière de ces tours était un réconfort. Elle avait appris à reconnaître les bruits de la cité, elle avait appris à y jouer sa partition. La fée clochette, c’est celle du tramway qui passe. Les sept nains, ce sont les enfants de Madame Ramirez qui jouent au foot dans la cage d’escalier.
Elle savait ce qu’elle devait à la cité mais elle savait aussi les dangers. À cette heure-ci, les dealers ne dormaient pas encore. Les loups délivraient leurs dernières doses aux ultimes bringueurs, ceux qui faisaient la fermeture des boites de nuit. Elle savait qu’elle devait éviter les balançoires, les loups aiment les balançoires. Elle savait qu’elle devait longer la haie derrière le grillage, à quatre pattes pour ne pas être vue, jusqu’à l’épicerie dont le rideau métallique était taggé jusqu’aux moindres recoins. Et puis se taper un sprint jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Faire le code, monter en courant jusqu’au dernier étage, sortir la clé de son petit sac, entrer dans l’appart, ne pas réveiller sa mère, rentrer dans sa chambre et tomber sur son lit le souffle court.
Elle avait plié la Clio, une fois de plus. Sa robe Monoprix était toute déchirée, elle avait perdu une sandale. Elle avait moins de trois heures de sommeil devant elle, avant de commencer sa journée de ménages. Au moment de s’endormir, Cindy murmura dans un souffle : tu fais chier, Mo.
Un conte doux-amer pour une Cendrillon sous ecstasy…
Merci pour ce beau moment de lecture, JLuc !
Merci Fil. Et merci pour tous les commentaires que tu laisses, à moi et aux amis du Tiers-Livre, ça fait chaud au coeur.
Le mirage du Prince charmant a encore sévi… Merci de l’avoir démasqué
Si je le tenais ce prince ! Merci Claudine.
La dernière ligne droite est glaçante, oui tu fais chier Mo. Merci Jean-Luc
Merci Véronique. Les princes ne sont plus charmants (l’ont-ils jamais été ?)
La claque Jean Luc ton texte, j’ai adoré, touchée en plein coeur. Merci.
Merci Clarence. Touché à mon tour.