En haut de la montée, le début de virage qui débouche sur le carrefour. On peut quand même continuer à tourner, terminer normalement ce confortable lacet pour monter vers le col. À l’intérieur de la courbe, la grande croix de bois couchée par la neige l’année où il en est tant tombé a été remplacée par une autre croix, toujours en bois et toujours avec ces encoches aux extrémités des poutres qui te faisaient penser à des bras et une tête. Juste à côté, les trois gros containers de tri sélectif et le panneau où sont affichées les informations locales. Quand tu étais petit, la cabane à poubelles était de l’autre côté de la route, à côté de la petite cascade qui descend dans les arbres. La route qui descend vers la ferme d’Alain n’a pas beaucoup changé, mais pour le petit chemin qui monte, évolution radicale de statut : à l’entrée, une plaque le nomme officiellement route, une plaque en métal comme les plaques de rue des villes, sur un poteau planté bien droit, un poteau en métal, pas un piquet. Fini « le chemin qui monte chez… » comme commençaient toutes les rues, routes et chemin du village. Aujourd’hui tu ne prends pas le raccourci dans le bois, mais tu fais le grand tour, comme les voitures. D’abord le champ où les vaches passaient deux semaines par an au printemps et à l’automne avant de rentrer à l’étable pour l’hiver. Puis tu entres dans le bois, comme si tu entrais chez quelqu’un. Parler moins fort pour ne pas déranger, ne pas trainer les pieds non plus. La mousse qui dit l’humide du sol est toujours là, sur son rocher, elle qui peut s’ouvrir comme un palmier sous les grosses pluies d’hiver ou se recroqueviller comme une main qui s’agrippe dans le sec de l’été, elle est aujourd’hui en position moyenne, la houppe ramassée en négligeant plumeau. Tu la caresses doucement. Goudron récent au sol, le chemin a définitivement pris du galon en prenant le statut de route. À l’embranchement, le beau goudron continue jusque chez les voisins. Tu as appris l’an dernier, le décès du grand-père. Il faudra passer les voir. Toi tu prends à droite, le chemin n’a pas changé, arbres d’un côté et champ bien propre de l’autre. Ici aussi, les vaches deux fois par an. Enfin, vaches ou autre aujourd’hui, le champ reste impeccable. Plus loin place au fouillis, ronces et arbres tombés, les sangliers sont passés faire un tour et ont bien retourné le dessous du noyer. Tu ne vois pas le chalet encore caché par les arbres et la pente, mais tu sais que tu arrives. Tu cherches dans ta poche les deux petites clés des verrous de la porte de devant, celle que tu n’utiliseras plus ensuite, quand tu auras ouvert de l’intérieur la porte de la cuisine, avec la lourde clé qui a comme porte clé un toute petite cloche sans battant
Cette proposition fait entrer dans des paysages que je n’ai pas l’habitude de parcourir.
C’est une carte postale, des vacances en avance.
J’ai senti la mousse et la fraîcheur des chemins.
L’évocation du goudron montre en arrière plan ce qui a pu exister avant.
J aime beaucoup. Ça donne envie.vraiment.