on dit que je suis tombée. on parle d’accident triste. tragique par accident. on plaint mère et père, me perdre si jeune. que sait-on de ma rage assujettie. on écarte la violence de mon corps au sol, corps explosé sur l’asphalte. on dit que je suis tombée du balcon, en accrochant le linge, j’aurais basculé. on ne croit pas à l’histoire, mais on la raconte. on m’inflige une autre mort, ma mort comme ma vie me sont imposées. J’ai abandonné ma vie, faut-il leur laisser ma mort ?
visage grisâtre, comme pris par la couleur asphalte du sol. depuis la mort de sa sœur, cette peau-là. pierreuse sans larmes. elle tient la boutique désormais, ça remplit ses journées, puisqu’il faut que journées passent. vivre ce serait ça, éviter l’accident. elle a entendu ses parents douter : elle ne saura pas vendre mais il faut l’occuper. quand une cliente arrive, elle sourit comme on ouvre une porte, se touche la main pour accrocher la présence. le reste des heures, seule comme vent sans voix, paupières arrêtées d’absence. quel regret en gorge.
tu as failli fermer le ciel sur nous. je n’ai pas inventé l’accident, ton geste, je n’y ai pas cru. ton corps par terre, indécence de morceaux étalée devant leurs yeux publics. tu ne t’es pas jetée comme plongent les enfants au cœur confiant. ton corps projectile. je ne te laisserai pas détruire notre honneur. tombée du balcon. j’ai renoncé à tout pour vous élever et toi tu tombes. mère, je ne suis personne sans mes enfants. il n’y aura pas d’autres accidents. je nous sauve, nos vies immobiles désormais.
trois textes pour défier la mort. Merci
merci Danielle
La force de situations, de personnages, de narration en trois textes-fragments : bravo.
merci Laure, belle contrainte que les textes aux 90 mots
» depuis la mort de sa sœur, cette peau-là.[…] on écarte la violence de mon corps au sol, corps explosé sur l’asphalte. on dit que je suis tombée du balcon, en accrochant le linge, j’aurais basculé »
« quand une cliente arrive, elle sourit comme on ouvre une porte, se touche la main pour accrocher la présence ».
» je ne te laisserai pas détruire notre honneur. tombée du balcon. j’ai renoncé à tout pour vous élever et toi tu tombes. mère, je ne suis personne sans mes enfants. »
Trois stèles gravées à propos d’un déni. Est-ce que la contrainte ne durçit pas davantage le granit fissuré des souvenirs ? J’aime vous lire Gracia.
je suis si touchée Marie-Thérèse, merci !
oui terrible déni qui réécrit la mort et tord les vies qui demeurent.