Elle active l’ouverture du portail du garage, descend dans l’antre humide. Derrière une porte elle change de vêtements, enfile des gants de caoutchouc, agrippe la benne poubelle, la remonte à l’extérieur, les roues fonctionnent mal, elle l’a signalé en vain, elle respire fort, pousse de faibles cris, elle atteint le trottoir extérieur, lâche tout et retourne à l’intérieur. Elle s’empare du jet d’eau pour nettoyer la seconde. Elle retient sa respiration pour limiter les effluves nauséabonds. Elle sort enfin, elle regarde deux voitures avec chauffeur qui s’arrêtent devant le restaurant huppé.
Propriétaire d’un salon d’esthéticienne. Faillite. Seule avec trois jeunes enfants. Elle est devenue thanatopractrice après 250 heures de formation. Métier d’avenir on lui a dit. Simple transfert de compétences. La mort, pas belle à voir. Alors elle rend vivants les morts par des artifices. Elle se souvient du visage de cire de sa grand-mère, vrai, émouvant. Là sous ses yeux et ses mains tremblantes elle poudre rougit noircit redresse la bouche avec un fil de fer qu’elle parvient à dissimuler. Elle a envie de vomir. Elle ne pourra pas rester ici. Elle respire mal.
Fatigue accumulée depuis trois ans, auxiliaire de vie la nuit, cinquante personnes à surveiller, soigner, calmer, aider à trouver les toilettes sous peine de les voir faire leurs besoins dans un lieu inapproprié, aider à les déshabiller en début de soirée, aider à reprendre le chemin de la chambre, aider à retrouver le sommeil. Elle ne dort pas même dix minutes, lit des magazines de voyages, rêve d’un bateau dans la Baie d’Along. Au petit matin retour à la maison, mari déjà parti, lever des enfants, l’école, le ménage, souffle coupé.
portraits bien réels dans un même souffle
on garde l’image de la baie d’Along comme d’un rêve fou…
merci Françoise de ta lecture
espoir quand le rêve est encore là