Elle fait le plus vieux métier du monde, elle n’est plus jeune. Nous buvons le café aux Lombards, près de son bureau, à l’intersection de la rue Saint-Merri Elle appelle tout le monde mon chéri Elle fait semblant d’être parisienne, parle comme Audiard et Gabin. Chaque matin elle me confie qu’elle est née dans le Morbihan, à Clermont, à Marseille. J’y vois comme une pudeur inattendue chez elle qui se réfugie derrière tant de gouaille. Ça reste entre nous, dit-elle à chaque fois, ne le dis à personne
Elle est une presse à imprimer en taille-douce. L’homme qui la conduit, l’accompagne, l’écoute, la bichonne, sait tout d’elle, du plus profond de sa matrice jusqu’aux plus tenus de ses cliquetis. Et pourtant après vingt années passées ensemble, ils doivent se séparer. Progrès oblige. Demain la Marinoni sera cassée, l’homme effondré. Demain il ne restera que l’énorme Bullocks Pat dans l’atelier. Et quelques hommes, à son service, grimperont sur ses montants, ses échelles, pour qu’elle crache les affiches au pied du jeune receveur.
Dans les bureaux du Centre Européen De Commerce Et De Je Ne Sais Plus Quoi, les secrétaires sont choisies par le patron suivant des critères très précis et qui débordent du cadre du secrétariat classique. Elles sont trois, brunes, poitrines généreuses, habillées court, refaites au trompe-couillon, d’une stupidité presque désespérante, si l’expérience de la vie et du monde du travail, ne tempérait pas la hardiesse de ce jugement. Chaque matin une se lève, soupire, tire sur sa jupe, un peu, et pénètre dans l’antre du patron. Durée indéterminée.
Elle est nue, entre deux âges, un corps atypique qui accroche l’œil et le trait. Fesses posées sur une serviette éponge de couleur bleue, au milieu de l’espace où des dizaines de regards, la scrutent, l’envisagent, la soupèsent, la dessinent, la peignent, la griffonnent. Est t’elle indifférente. Est-ce l’habitude. De la pudeur. De temps en temps sans sourire, elle change de position, trois quarts, de dos, moitié assise, moitié allongée, des poses courtes, moins courtes, plus longues. Puis elle se rhabille.Tout ça pour 5 euros, apéritif compris, rue Sainte Catherine à Lyon.
Elle travaille au rayon liquides du Grisot de l’Isle-Adam, le patron lui tourne autour mais elle le remet à sa place, deux mots bien sentis, un sourire, elle a l’habitude depuis le temps qu’elle est là. De toutes façons dans quelques mois tout ça sera terminé, elle chante, on lui a dit qu’elle avait du talent, elle va faire un disque. Deux années sont passées, elle est toujours au rayon liquides, de temps en temps elle sourit tristement. Le patron tourne autour de la jeune poissonnière.
Elle fait l’amour au téléphone pour 100 francs par carte bancaire. Mais elle est aussi grand-mère et quand le téléphone sonne, elle met un doigt sur ses lèvres puis demande à sa belle fille d’aller dans l’autre pièce, pour jouer avec les enfants. Avec le temps le manège s’est résumé à peu de chose. Elle lève les yeux au ciel, sans un mot la jeune femme conduit les gosses dans l’autre pièce. Puis elle se racle la gorge et décroche.
Elle c’est une grande black jolie comme un coeur, la trentaine, elle est arrivée à Lyon depuis peu. Elle s’est mise facilement au tutoiement, par contre elle respecte les règles, le boulot c’est le boulot, pas question d’être dans l’à peu près, elle a des comptes à rendre toute directrice qu’elle est. Elle a vite compris aussi qu’on ne pose pas de question en réunion quand le DG vient de Paris pour faire son laïus annuel. Elle a le cul entre deux chaises mais elle s’accroche, on apprécie son élégance à vouloir ménager la chèvre et le chou.
Elle a beaucoup intrigué pour parvenir à ce poste sur le site de Lyon.Puis quand ça a commencé à mal tourner qu’elle s’est aperçut qu’ils se fichaient d’elle, ils, la direction, les bonjours ont changé, c’est devenu d’un coup plus froid, plus neutre. Elle a commencé à parler de manque de respect , d’une reconnaissance qu’elle n’avait pas obtenue, s’est arque boutée là-dessus, à la fin on ne l’a reconnaissait plus, elle disait c’est injuste, puis elle a craqué, s’est mise en maladie, on ne la plus revue.
Rond-point de Chanas, boulangerie Marie Blacher, peu de monde, pas beaucoup de sandwichs, il est 12h15, elle est derrière le comptoir, elle piétine sur place, sur sa tête une coiffe ridicule afin de retenir les pellicules des cheveux, une tenue de travail bleu sombre , elle est presque invisible, seule sa voix nasillarde, à la limite du désagréable,est-ce voulu, guide les choix des clients, il semble qu’il faille choisir vite. Un sandwich tomates mozzarella une bouteille d’eau plate 6,90€ sans-contact
Exposition Mornant dimanche après-midi, 14h30. Une dame d’un certain âge, une bénévole de l’association tient la permanence de la maison de pays. Elle est déjà assise, chemisier boutonné presque jusqu’au cou et cherche à allumer l’ordinateur. Son corps est recroquevillé au dessus du clavier, mains tâchées de marques brunes, tremblements , intranquilles. Soudain une petite chaîne s’échappe de son col. Au bout une croix. — C’est l’enfer ces machines , dit-elle, je n’y comprends rien du tout, le directeur va venir bientôt il s’en occupera.
J’espère que l’employée du Grisot n’abandonnera pas ses rêves …
A suivre !
Elle a du les abandonner il y a longtemps j’avais 16 ans c’était mon premier travail dans un supermarché et j’en ai 62 désormais… mais du coup merci pour cette sollicitude envers le personnage quelque chose s’est passé dans le texte.
Finalement ces portraits fonctionneraient absolument très bien sans titre…
pourquoi ce cadre posé à l’avance ? sans doute une histoire de peintre ?
beaucoup de tristesse pour l’employée du Grisot qui rêve de chanter et qui voit celui qui incarne son espoir se détourner d’elle (vraiment dur !)
Oui tiens pourquoi ? Je ne m’étais pas posé la question je suppose que c’est un cadre effectivement merci pour cette remarque Françoise, mais je vais laisser comme ça puisque c’est comme ça que c’est venu. Par contre j’en rajouterai d’autres, sans titre cette fois.
Très beaux portraits ! J’ai beaucoup aimé. Le premier est superbe ! Oui, c’est vrai, cela fonctionne mieux sans titre. Merci, Patrick !