En travers des épaules le carquois des piquets et serré dans la main, le dévidoir à fil. Ça monte, entre les arbres, dans les ronces. Elle leur fait un grand parc avec de l’ombre, demain il va faire chaud. Le piquet qui se tord sans s’enfoncer, coup de talon, recommencer, une, deux, trois, quatre fois à cause des cailloux, tendre le fil, nœud coulissant autour du piquet avec ses doigts tannés, tout faïencés de noir. Elle transpire, mais les vaches auront leur parc dès la fin de la traite
La voiture a glissé, elle a dû mettre les chaines puis creuser à la pelle avant de s’en sortir. Partie en retard ce matin : sa grande fille a changé, elle se replie sur elle-même, ne souris plus, maigrit, prétend que tout va bien. Elle s’inquiète. Ce matin elle a pensé qu’elle pourrait lui parler. Finalement non. Mais en retard quand même. Première patiente, un pansement à refaire, résidence secondaire, accès mal déneigé. Demain je ne veux pas de vous, dites à quelqu’un d’autre de vous remplacer. Vous, vous avez les mains froides
Elle ne met plus de gants à cause de leurs sourires, des soupirs du patron qui insiste sur le prix. Sa peau s’est endurcie et en cas de problème, elle a un rouleau de scotch électrique dans la poche pour éviter que son sang n’aille tacher le bois. Les jolis assemblages c’est rarement pour elle, depuis ce matin, elle passe des planches dans la dégauchisseuse, le casque antibruit appuie sur les branches des lunettes, les épaules en compote. Mais elle préfère ça à poser du parquet, au moins elle est debout, ça évite les blagues grasses
Toute la journée, elle leur tend la perche. En début de saison, elle reçoit une veste avec le nom de la station écrit en gros dans le dos. Pas de gants, pas de chaussures, pas de chaussettes, le bonnet c’était il y a deux ans. Elle a froid, aux pieds et aux mains. Surtout aux mains. Dire bonjour et sourire avec les dents qui claquent, répondre gentiment aux remarques piquantes et aux commentaires déplacés avec les dents qui claquent. Ça fait bientôt cinq mois, les jours rallongent. Il pleut
Super évocations de trois femmes au travail.
Merci Juliette.
Le corps qui trinque ça se mesure après-coup. Merci pour ces trois portraits- Endurance ou résilience, il faudrait les entendre parler… Sûrement des gros mots…
beaucoup aimé ces portraits tout à fait singuliers et si vrais, puisés dans la vie rude
j’adhère à cent pour cent…
merci Juliette
Les mains, et les corps derrière, ce qu’ils endurent.