Elle arrime ses petits sur la poussette, les enveloppe d’une couverture, s’assure qu’ils ont leur bonnet enfoncé sur les oreilles. Elle a pris le biberon, une couche de rechange, des biscuits. Porte sur elle plusieurs vêtements superposés. Sur le terrain la boue est dure, les nids de poules emplis d’une couche de glace. En passant salue les autres mères qui se préparent devant leur cabane. Elle file vers la place, la boulangerie où elle va faire la manche. Hier une passante s’est détournée, rageuse : “Va travailler!”
Une femme s’avance dans le magasin. Grand sourire se précipite demande si elle peut aider, renseigner. La cliente cherche un cadeau de naissance. Elle la conduit aux layettes, l’oriente vers un pyjama cher. La cliente choisit un autre modèle plus un body. Elle conseille de prendre aussi les chaussettes, le bonnet: les nouveau-nés ont froid vus qu’ils sortent de trente-sept degrés en plein hiver. La cliente refuse, ne prend finalement que le pyjama. Cette fois, elle va se faire virer : la gérante impose de vendre trois articles par cliente, pas moins.
Elle a passé la cinquantaine au chômage. Un diplôme d’ingénieure, un cv, mais cinquante ans bien tassés en fin de droits. Pôle emploi insiste: le rectorat recrute pour des remplacements. Niveau collège, elle a regardé les programmes rien de compliqué. Elle va essayer, dernier recours, l’enseignement puisqu’il faut gagner sa vie en attendant la retraite. Le rectorat l’envoie en banlieue pas trop loin de chez elle. Son premier cours. Elle se présente, intimidée. Les élèves la hument, la jaugent, sentent qu’ils peuvent y aller à fond, dans le chahut.
La mère dépose l’enfant pas le temps du bisou trajet long pour le boulot la radio annonce une grève. Le petit hurle, se révolte. À l’accueil, elle a trop chaud dans sa blouse pire avec ce petit qu’elle retient de s’enfuir de la crèche. Elle lui parle, le rassure, il se débat puis s’effondre en larmes sur le lino. Elle se penche, l’attrape, le porte jusqu’à la salle de jeux. Visage crispé, elle prie que son dos tienne. Le docteur lui a interdit : se baisser-soulever. “C’est mon travail”, s’est-elle excusée.
Ligne 1 vers ligne 9 direction Mairie de Montreuil. Dans le couloir, flux des gens en route pour les obligations du jour. Mille pieds différemment chaussés mais beaucoup de baskets silencieuses. Huit heures quarante-cinq, elle se tient postée au carrefour des correspondances, cinq avec la ligne 2 la ligne 6 le RER A. Robe bleue cheveux long la vingtaine. Un baffle, un micro : elle chante. Près d’elle un carton écrit à la main : “aidez-moi à réaliser mon rêve.” Qu’on la photographie, qu’on partage sur les réseaux sociaux mais on passe.
Bonjour Juliette
J’aime vraiment beaucoup tes évocations de femmes très réalistes et très touchantes.
Merci !
Merci à toi!
femmes et enfants, femmes et layette, femmes à la ramasse… vie rude trop souvent
beaux portraits absolument vrais
contente d’être venue chez vous, Juliette