Elle court, ne reconnait plus personne; son visage est meurtri on dirait qu’elle a tout oublié, qu’elle a un peu perdu la raison. Flashback: elle parle beaucoup, de son fils qui l’inquiète, du travail qui l’indispose, difficile pour elle. Elle n’arrive pas à atteindre le rythme qu’on lui demande, pas à réfléchir avec l’efficacité attendue. La responsable froidement critique son manque de réflexion. Déjà sa présence est toute fragile, présence à son fils, pas de fierté. Elle s’intéresse humblement aux autres. Petite, plus petite, plus vieille que le reste de l’équipe, elle est déjà reléguée.
Une voix ancienne qu’on entend plus, d’antan, petite voix bien timbrée pure qui craque, voix aigue qui vibre dans l’air en harmonie avec les bruits de nature : grillons, ruisseaux. Elle sort pour accueillir les arrivants, hôtesse de la montagne, comme une personnage de mythe mais le soir dans l’ombre qui arrive, sa voix se fait dure, oublieuse de l’obscurité et ses yeux prennent le dessus, sinistres.
Elles servent depuis longtemps, l’une arabe l’autre russe la cinquantaine dans leurs uniformes de service, se disputent sauvagement, viennent me rapporter leurs colères réciproques, leurs dégoûts un peu racistes puis quand tout s’apaise que le travail s’arrête, elles se retrouvent pleines de gaieté et de joie tonitruante montrant leur profonde amitié.