Elle se fait les ongles, à la lime. Le prof s’agace, mademoiselle ! Elle répond qu’il est interdit d’appeler les femmes mademoiselle maintenant. Le prof hausse la voix, sortez! Elle sort. Elle va dans les chiottes du lycée, s’enferme, rabat l’abattant, s’assied. Elle finit ses ongles. Elle se maquille, yeux, joues, lèvres. Elle se coiffe. La fin des cours va sonner. Elle pourra sortir avec tout le monde, l’air de rien, prendre le RER pour Paris, à rebours des foules, se faire un peu d’argent, vite, pour rentrer avant l’aube.
Elle sommeille dans le métro qui la conduit à Nation. Il est tôt. Elle est partie de chez elle bien avant l’heure à laquelle Paris s’éveille. Elle porte l’uniforme de l’hôtel. Elle changera juste ses chaussures en arrivant. Pas tout de suite, elle les gardera encore le temps de mettre en place le petit-déjeuner. Elle les enlèvera pour l’arrivée des premiers clients dans la salle. Elle accrochera son sourire et la journée pourra commencer.
Elle n’attend plus. Elle reste. Ses cheveux sont clairsemés que les aide-soignantes brossent en arrière le matin. Elle passe la journée assise sur le fauteuil où on la place, devant la fenêtre du parc. Ses mains aux doigts grêles à plat sur l’accoudoir. Elle ne bouge pas. Aux pieds, elle porte des charentaises. On lui a mis sa robe de la semaine qui semble posée sur des os.Le regard porté sur les arbres, elle n’attend rien, elle reste, comme elle a travaillé. Patiemment.
Très beau. Très juste. Merci, Philippe.
Elle en version abrégée silencieuse laborieuse que s’est-il passé ? Et tant d’autres comme elle qui n’ont pas pipé mot juste pris le RER servi des clients, nettoyé et rangé sans relâche, oublié d’espérer une vie plus juteuse, subi le déclassement et la dépendance physique ultime, être servie enfin mais pas comme elle aurait voulu, défaite parfaite dans la résignation, était-ce sa place dans la société, le faire-pour- les autres au bon plaisir des autres pour un salaire horaire scandaleux, Mary Poppins en moins bien filmée, pas vedette juste soubrette et reléguée aux arrière-salons, autrefois sous les toits des bourgeois, aujourd’hui en quartiers sensibles au milieu du bruit et de la crasse urbaine. « Elle est au service » selon le beau titre de Fabienne Swiatly et n’a pas besoin qu’on le lui dise, elle est marquée, épinglée au statut. J’aime bien votre évocation dans ce texte efficace et sensible.