Ce n’est pas tant écrire la ville, ma ville. Ce n’est pas tant retrouver ce qui a été oublié. Le chemin est autre ou ailleurs. C’est lui qu’il faut retrouver. Ecrire ma ville sans y être retournée. Ce n’est pas tant d’en faire la cartographie elle est précise en couches successives vue satellite reliefs trafic par défaut elle est dans mon ordinateur dans mon téléphone dans celui de mon voisin dans celle d’une inconnue d’une autre ville, ma ville y est. Ce n’est pas tant de retrouver les chemins les miens dans cette ville. Ce n’est pas tant les immeubles les magasins la foire à tout le stade la galerie marchande et elle à la caisse à faire défiler les objets achetés encaisser remercier saluer et recommencer. Elle n’a rien d’exceptionnel cette ville sauf à être la mienne. C’est rechercher les mots qui soudent à mon être cette ville. Où sont les mots qui disent cette distance immense et inexistante à la fois ? De quelles lettres sont-ils composés pour rendre compte d’une relation évanouie et omniprésente ? La tentative d’écrire cette ville ma ville a besoin de distance – les mots sont distance, ils sont les deux rives séparées par un fleuve tumultueux chaotique ils sont le pont ancien qui les unit mais ils ne sont pas la traversée. Elle, doit trouver sa propre voix, les sons peut-être des pas qui avancent sur les planches glissantes de cette passerelle sans âge. Les mots manquent parce qu’ils glissent eux aussi ne savent pas à quoi s’accrocher ils doivent avoir prise, sur quoi, avec quoi. Ils flottent fuient disparaissent avant d’avoir été vus s’oublient eux-mêmes avant d’avoir été lus. Ils ont été usés par d’autres villes, d’autres rues dans la nuit dans la brume et ce café encore éclairé où subsiste un être vivant attablé un verre presque vide on imagine une musique d’ambiance démodée le néon grésillant de bleu qui voudrait s’éteindre. Usés par l’encombrement des heures de pointe par la fenêtre entrouverte périphérique d’où s’échappe des volutes de fumée cigarette du rouge aux deux extrémités et sur les doigts le rouge des lèvres d’une personne seule yeux dans le vide rien ne sert de klaxonner de s’impatienter, la radio tremble de publicités d’une station à l’autre la voiture est vieille juste utile à attendre chaque jour dans un sens chaque jour dans l’autre attendre que la vie passe comme elle est planifiée dans la ville. Usés par l’alignements de ronds-points l’alignement des usines au Sud de la ville l’alignement du centre commercial au Nord enseignes à vanter le cuir des canapés le design suédois le tout à un euro les prix coûtants mais pour qui. Usés par la traversée de la ville du marcheur solitaire passage piétons lampadaire escalier major d’homme d’un hôtel voiture rutilante arbre empoté bouche de métro escalator des corps montent d’autres descendent. Usés par la fenêtre de l’appartement rectangle lumineux et d’autres en face dans des tours plus hautes plus noires des logements trop petits des tours qu’ils voudraient faire tomber faire comme si ça n’avait jamais existé le regard à cette fenêtre cherche le deuil de ces années pas si mal finalement parce qu’on y était parce que des vies ont germé fini passé, ici. Les mots usés, usés les mots. Lesquels reste-t-il à sauver pour ma ville ?
Super texte, Rebecca.
Comment écrire la ville, avec quoi ?
Des mots, des villes, des vies usés…
Merci pour ta lecture 🤎🤎🤎