Écrire dans la ville, prendre des carnets, des crayons, des livres et laisser passer les gens. Mal assise, trop de vent, trop de soleil, se sentir regardée, craindre les questions et n’exister pour personne, regretter l’ordinateur, croiser les jambes pour avoir un support, le pied qui s’endort, convoiter un bout de pelouse, se coucher sur le ventre, s’appuyer sur les coudes, détendre le cou, s’asseoir, croiser les chevilles, écarter les genoux, observer, dessiner des arabesques dans les marges, lister les souvenirs du personnage : souvenirs de rue, souvenirs de chansons préférées, souvenirs de moments où on a eu froid, souvenirs de battements de cœur, souvenirs d’odeurs… et regarder passer les gens. Si je devais en suivre un, ne voir que des banalités, des passants sans relief, ne pas pouvoir imaginer leurs vies, leurs souvenirs d’instants où ils ont eu chaud. Abandonner les gens qui passent et décrire la ville. Compter les arbres, mesurer l’étendue de son ignorance en noms de végétaux, regarder les oiseaux et mesurer la profondeur de son ignorance en ornithologie. Regretter l’ordinateur, le partage de 4G, les recherches google de noms volatiles. Etendre les jambes, reconnaitre un merle, oui. Et soudain, les enfants, le cri des enfants, les pleurs des enfants, les caprices de ces sales mioches du dimanche qui ont trop chaud, trop froid, trop soif, qui veulent, qui veulent pas, tous ces enfants bourrés dont on ne comprend pas la logorrhée, qui sourient, qui grognent, qui sautent. Regarder les gens passer sans jamais pouvoir atteindre leur langue, voir bouger des lèvres sans croiser les regards, se sentir merle autonome dans sa quête du ver de terre mais la pelouse est trop bien tondue, petits sauts, petits sauts et rentrer bredouille au nid qui hurle sa faim.