Pourquoi c’est plus facile quand ça ne devrait pas. Dans le bruit, dans ce qui bouge, dans la vibration et le défilement du train. Dans les heures coincées dans tel aéroport et pourtant tu sais si bien ce qui en est sorti. Ta façon dans les gîtes, les hôtels, de commencer d’abord par trouver où tu poseras ta machine, et ses appendices de câbles et chargeurs. C’était plus simple autrefois, la connexion rare ou chère : on travaillait à l’ordi sans se distraire. Un avant et un après, ou un glissement. Parfois tu sais très bien que dans toute cette semaine dans cette ville tu n’as rien fait pour toi, est-ce que c’est si grave : rien ne s’y prêtait, puis en général c’est parce que tu y venais pour un travail et que ça use. En six ans à Cergy qu’est-ce que tu y as fait pour toi : c’est peut-être bien à cause de ça que compris que c’était mieux de riper galoche. L’année Québec, cette grande salle rue Saint-Jean, une fois montée la rude côte vers le vieux centre, des tables communes et très longues, en bois épais, mais là tu venais pour une heure. Ou en bas la bibliothèque Gabrielle-Roy, où on pouvait venir tard le soir ou le dimanche matin aussi, parce qu’autour de toi ça bouge, qu’il y a les voix, les appels, finalement tu travaillais et bien. Dans les souvenirs bien plus anciens, et même avant l’ordinateur portable, les cahiers que tu emportais pour noter, esquisser, gribouiller, et s’asseoir ensuite sur la planche à tréteaux c’était ouvrir les cahiers pour transcrire. Dans combien de villes avoir toujours eu sur toi soit l’ordi soit les cahiers, mais assis dans tel bistrot rester à simplement regarder, ou faire comme d’attendre, ou marcher dans les rues sans trop penser, et que le moment où tu reprendras, dans ton renfoncement, ton recoin, c’est ça qui se déposera. À Paris quatre ans durant j’avais une carte et un code pour entrer dans la salle des profs de Sciences Po : ça me convenait. Je serais bien retourné comme ça bibliothèque des Beaux-Arts, rien de plus facile mais quand même il fallait demander, se présenter. La condition d’une salle à écrire c’est qu’on ne vous demande rien avant. Le droit de se taire. À Providence la si grande salle d’étude à la fois claire et tamisée. Certaines heures à tel endroit, là où on t’apportait le chariot avec les dossiers, et si tu revenais l’après-midi, se placer très loin au contraire, avec de l’espace partout autour de toi, et là tu ne t’occupais plus des dossiers mais seulement de ce qui se passait sur ta machine. Ou le matin sur le chemin, quand tu prenais le gobelet de café et grimpait sur ces tabourets avec planche tout contre la vitrine, et la rue à vingt centimètres de toi : là seulement tes notes, tes brouillonnages, quarante minutes qui n’étaient rien qu’à toi. Tu le fais toujours, où tu peux. Tu as dans la tête liste précise, ville après ville, d’où tu t’installeras pour écrire, ou rien, même plutôt si souvent rien mais justement, ne pas obéir, t’en fiche du travail en retard. Du soleil derrière une vitre. La plus grande neutralité. Qu’on ne te force pas, jamais, à dire un mot.
comme ce » tu » fonctionne bien….
et puis se demander ce qu’on a fait pour soi, bon sang ! l’important entre par les yeux et les pores de la peau… enfin sans doute…
beaucoup aimé cette liberté et aussi ce soupçon de tristesse sousjacente
« ou faire comme d’attendre » et puis après tout ce qui se dépose…
et puis cette phrase si forte : « La condition d’une salle à écrire c’est qu’on ne vous demande rien avant. »
Et la dernière phrase si coup de poing, si la recevoir dans le ventre, belle comme un titre, un mantra, et mise là juste en conclusion du texte voyage d’où écrire depuis le corps. Merci.