La petite table de la chambre étudiante, la brique rouge des laboratoires, la lumière allumée, les pièces du bâtiment d’en face, les nuits lourdes autour du Panthéon, les nuits grasses, la toile le long des échafaudages qui claque comme des voiles, les rues qui descendent jusqu’à la Seine, les lumières humides, les traînées des pas des passants persistantes, tenaces, imprimées, le regard comme un appareil en pose longue, les mouvements traînants et brumeux, les réveils à une heure, deux heures du matin, la petite table de la chambre étudiante, les étagères et quelques livres, Blaise Cendrars, Georges Sorel, Céline, Carco peut-être, la petite table si petite et la rue si étroite, que le dehors et le dedans ne font qu’un, l’univers poreux, la langue pauvre, des résidus d’une langue qui s’empâte, salive et bégaie, la nuit le long des rues, Paris maritime, la pluie le long des toiles, la nuit stagnante telle une eau croupie, dans les laboratoires de physique dit-on, il est un trou très profond, un puits, il y a peut-être dans la petite chambre, sur une étagère, les carnets de Malte Laurids Brigge, près de la petite table de la chambre étudiante, étendue sur le lit et quand elle sort aussi dans les rues, elle le suit, Malte, elle traîne dans les mêmes rues, perçoit les mêmes sons, la sensation physique, granuleuse des carnets, il est des sons tactiles voyez-vous, des sons qui râpent, la petite table de la chambre étudiante et la lumière qui décline, la nuit derrière la vitre, la ville devinée masquée par un reflet, la petite chambre de la rue étudiante, de cette époque peut-être datent ses premières lettres, introduites par ces mots, toujours les mêmes « la nuit est tombée depuis quelques heures maintenant« , ses longues lettres nocturnes, jamais envoyées.
Dès l’attaque, c’est très beau. Tendu. En résonance avec Malte en effet. Merci
Merci Catherine, j’ai hésité à retirer ce texte, j’ai une grande frilosité vis-à-vis de la veine mélancolique voire biographique. Elle est si présente partout que je finis par avoir du mal à m’inscrire dans l’atelier pour n’être pas entraînée malgré moi sur cette pente qui m’assèche.
Franchement ça aurait été dommage. M’est avis qu’il faut laisser droit à ce qui vient. Si présente partout ? Perso, je distingue nettement le pathos dégoutant dont on est en effet entourée dans les librairies (si c’est ça que vous évoquez) et votre texte
Ici, rien de mélancolique ni, à première vue, de biographique. Non, plutôt des résonances avec Rilke et des embruns du Paris maritime !
Merci beaucoup Marion !
Merci de ta lecture ! Toujours un plaisir d’accueillir des visiteurs
Rétroliens : #40jours #40 | L’impression très joyeuse de la connaître / pour un art poétique narcissique – Tiers Livre | les 40 jours