À K. je n’écrivais pas. Je marchais. La ville me happait, sa Skyline, sa Baie, ses ferrys, ses marchés, sa densité humaine, une des plus fortes au monde. Je photographiais la géométrie fabuleuse des gratte-ciels. Je n’écrivais pas. J’allais dans les îles, je traversais des marais grouillants de coassements et de reptations inquiétantes que masquaient d’énormes feuilles de taro. J’écoutais les stridulations d’oiseaux invisibles. G. m’avait mise en garde, la morsure de la moitié des quelque 220 espèces de serpents recensés sur le territoire pouvait être mortelle. Certains reptiles étaient agressifs. C. et lui avait retrouvé un de ces fins et redoutables serpents verts sur leur pas de porte. Je n’écrivais pas. Je n’avais pas pu aller voir le camp de réfugiés où C. et G. travaillaient comme profs de français, il fallait trop d’autorisations, difficiles et longues à obtenir. Mais j’avais passé un après-midi dans un camp de transit où trois de leurs élèves vietnamiennes nous avaient invités à fêter leur prochain départ pour le Canada. Je n’écrivais pas. Je regardais une des jeunes filles préparer des salades et rouler des nems. Durant les journées où C. et G. travaillaient je passais mon temps à déambuler dans la ville et dans les îles. Je n’écrivais pas mais quelque chose écrivait en moi. Je prenais le bus pour les Nouveaux Territoires. Au début j’étais surprise quand mon voisin tombait endormi sur mon épaule, j’essayais de le relever contre le dossier de son siège. C’était vain, l’abandon des dormeurs était impossible à endiguer. Je descendais à un nouvel arrêt sur la ligne pour aller visiter un temple. Au pied des collines à la végétation tropicale, quelques tours sans charme semblaient avoir surgi de terre. Plusieurs hommes que je croisai avant la bifurcation vers le temple me regardaient avec une sorte de sidération comme si j’étais non seulement une étrangère à long nez, mais plutôt une sorte d’extra-terrestre dont la présence au bord de cette route était à la fois ahurissante et un rien hostile. Je n’écrivais pas mais mon corps prenait des notes, il enregistrait les regards, cette sensation physique d’inquiétante étrangeté. Après avoir gravi la moitié de la colline, je ne trouvai toujours pas d’indication pour le temple. Je m’étais égarée et je décidai de faire demi-tour. Le bus traversa de nouveau les cités dortoir empilant les destins d’une multitude d’êtres humains. Quelque chose se modifiait en moi, s’écrivait autrement dans une nouvelle carte du monde. Des mots se murmuraient. Peut-être que je savais déjà au fond qu’un jour j’aurais envie d’écrire une ville qui s’appellerait K.
En effet, Muriel, il est patent qu’il n’est pas besoin d’écrire, parfois, pour écrire.
Très beau texte !
Merci !
Merci Fil pour ton passage ici et ton commentaire qui me fait vraiment plaisir !
J’ai souvent besoin de ne pas écrire pour écrire ensuite… peut-être trop et j’espère que cet atelier me fera bouger.