Oui monsieur l’agent bien sûr monsieur l’agent voilà monsieur l’agent. Je les ai mes papiers. Regardez. Ma carte d’identité mon permis de séjour mon certificat d’hébergement ma facture d’électricité mon attestation préfectorale mon bulletin de salaire ma carte d’assuré social.
Assis au volant de la voiture de police, David se demandait parfois à quel moment sa vie avait basculé. Il avait eu une enfance plutôt heureuse. Des parents aimants, des amis, quelques petites amies. Rien de particulièrement traumatisant. Il avait fait l’école de police parce que son cousin le lui avait dit que c’était cool.
Regardez. Mon certificat de concubinage mon devis dentaire pour la pose d’une couronne mon attestation de bon voisinage mon diplôme de carreleur ma carte de membre actif à la société des jeunes gens bien sous toutes les coutures mon brevet international de plongée sous-marine.
Assis à l’arrière de la voiture de police, Ferenc se demandait souvent à quel moment sa vie avait basculé. Il avait eu une enfance plutôt heureuse. Des parents aimants, des amis, quelques petites amies. Rien de particulièrement traumatisant. Il était venu en France parce que son cousin lui avait promis un boulot et plein d’argent.
Mon brevet de pilote de conducteur de fusée spatiale mon diplôme d’ingénieur thermonucléaire ma carte de bibliothèque à la BNF mon carnet de réductions valable dans tous les MacDo de France mon pass permanent au festival de la moutarde et la mayonnaise réunies.
Assise derrière son bureau au Tribunal de Grande Instance, Chantal, la Juge de la Liberté et de la Détention, se demandait souvent à quel moment sa vie avait basculé. Elle avait une enfance plutôt heureuse. Des parents aimants, des amies, quelques petits amis. Rien de particulièrement traumatisant. Sa cousine lui fait dit que rendre la justice était sans doute la plus belle chose qu’un être humain pouvait faire pour la société.
Mon attestation d’ancien élève de littérature comparée à l’université de Budapest ma carte de membre du club des joueurs de dominos du coin de la rue ma facture du jour même à l’épicerie d’en bas ma carte de fidélité au club des célibataires buveurs de vodka mon certificat de vaccination.
Assis derrière son guichet à l’aéroport, Didier, le préposé aux expulsions sommaires et définitives, se demandait souvent à quel moment sa vie avant basculé. Il avait eu une enfance plutôt heureuse. Des parents aimants, des amis, quelques petites amies. Rien de particulièrement traumatisant. Son cousin lui avait dit que…
Puissance de la répétition couplée à l’accumulation
Un questionnement sur le fait de s’accrocher à ces deux éléments
Puis
Arriver au moment de l’expulsion
Troublant par la diversité
Qui forme une unité justement
Merci Patrick. La répétition, c’est aussi quand on arrive au bout. Pour moi, de ma réflexion. Mais ton analyse est très juste. Merci d’être passé par là.
la ritournelle…
Pas sûr que j’arrive à en faire une chanson…
Beau texte ! Différence et répétition… Mais toujours la même rengaine pour le pauvre immigré !
Merci !
J’ai l’impression que c’est la même rengaine pour tout le monde. Mais c’est le migrant qui prend. Merci de ta visite.
Superbe composition textuelle où la réponse à la question existentielle des différents personnages est dans l’accumulation accablante des papiers. Merci infiniment, Jean-Luc !
Quand je lis ton commentaire, me vient en tête une image du film « Brazil » dans lequel un personnage disparaît sous des papiers. Merci pour ton passage Helena.