Dans l’entrée, posée sur un coin d’étagère, un vide-poche. C’est plat creusé dans un bois sombre que Danielle a acheté dans un magasin de déco « ethnique ». Son vide-poche, plateforme de transit des objets sans domicile fixe est devenu le cimetière de sa péremption. Il contient une carte d’identité périmée (elle a vingt-six ans sur la photo et un sourire doux et confiant), une carte de crédit périmée et coupée en deux, une carte de fidélité périmée de l’enseigne sport 2000 (la lointaine perspective d’un rabais de dix pourcent de réduction sur le dixième achat est définitivement envolée), une carte de bibliothèque périmée (celle de la rue Bossuet où, d’ailleurs, on ne trouve jamais rien), une carte de jeu écornée (c’est un valet de cœur, cette carte signifie présentée droite, un homme blond, aimant, un fiancé et renversée, une rupture. Danielle ne se souvient plus dans quel sens la carte se trouvait quand elle l’a ramassée rue Danjou bien que sa situation présente penche plutôt du côté » renversant »; une carte de téléphone épuisée (les cabines de France Telecom ne fonctionnent plus qu’avec des cartes), une vignette auto périmée ( elle a vendu sa 205 Peugeot en fin d’année dernière), deux clés sans porte identifiée ( la petite clé plate est peut-être le double des clés jamais rendues de son ancien bureau), des piécettes de dix, vingt et cinquante centimes, un trombone défait, un angle tournevis Ikea, un bracelet cassé (des perles plates de jade enfilées sur un double fil de coton rouge), une carte d’adhérente à l’association de quartier périmée, des boutons de chemise de rechange (blanc nacré), une carte de visite d’Éric Plomberie, noire avec des lettres rouge et jaune (le robinet branlant de la cuisine n’est pas encore réparé), une carte de visite du cabinet de soin esthétiques, Rêve de soi, couleur parme et corail ( elle ne s’est pas faite épilée depuis six mois), la garantie périmée de la machine à laver, et posé en équilibre sur le vide poche, une enveloppe blanche non encore ouverte qui contient le certificat médical circonstancié rédigé par le médecin agrée dans le cadre de la demande de mise sous curatelle déposée par sa fille aînée.
Je ne m’attendais pas à cette chute. Bravo