Je descends l’escalier, ma main droite sur la rampe froide. Il faut faire attention à la marche du troisième qui est cassée. Cela fait déjà six mois que je l’ai signalé au concierge. Dehors, la rue qui avec les trois autres ceinture le bloc d’immeuble longe un petit parc (plus un square qu’un parc). il y a un autre parc, bien plus grand, agrémenté d’un lac avec des pédalos et d’un marchand de glace qui n’est présent que le week-end et pendant les vacances. Le parfum pistache des glaces du marchand qui s’installe le weekend et pendant les vacances à l’entrée du grand parc avec un lac où l’on peut louer des pédalos est un succès. A tomber! La crème sucrée et parfumée contient des petits éclats de pistache torréfiée. A tomber! Le grand parc avec le lac, les pédalos, le marchand de glace, contrairement au petit parc, (celui situé le long la rue qui avec les trois autres ceinture le bloc d’immeuble) se trouve, lui, en périphérie de la ville. Il faut prendre le métro ligne G puis le bus puis un autre bus. Environ une heure de trajet. Le grand parc est beaucoup plus agréable mais nettement moins pratique que le petit parc pour souffler quelques instants. Je ne vais au grand parc que le weekend et pendant les vacances, lorsque le marchand de glace s’y installe à l’entrée, avant le lac et les pédalos. Celui qui vend des glaces parfum pistache à la crème sucrée et parfumée fondant sous la langue alors qu’éclatent les petits éclats de pistache torréfiée sous les molaires. A tomber! Tout de suite après le petit parc, bien pratique pour souffler quelques instants, se trouve la place. Depuis la place, on peut rejoindre l’Avenue par l’étroit passage voûté en pierres grises au sein duquel il fait toujours sombre et humide. Quelle que soit la saison, quelle que soit la météo, quelle que soit l’heure je retrouve toujours cette odeur écœurante de moisissure et d’urine dans l’étroit passage vouté en pierres grises. Une autre façon de rejoindre l’Avenue consiste à passer par une rue sans intérêt qui s’allonge en arc de cercle plus à l’ouest depuis la place. Cela prend un peu plus de temps de passer par cette rue, mais elle n’est pas humide comme l’étroit passage voûté ou il fait toujours sombre. Ensuite se déroule l’Avenue. Large et aéré. Plutôt agréable. Bordée de marronniers. Tout au bout de l’Avenue, au Nord, se trouve l’hôpital. Ville dans la ville avec son portail de fer forgé, son bâtiment des urgences à la façade anthracite percée à intervalles réguliers de fenêtres toutes identiques. Son couloir, borgne qui chemine au cœur du bâtiment principal puis se divise en ramifications tentaculaires par d’autres couloirs dont celui qui mène à l’imposante porte blindée de la Réanimation. On accède à l’hôpital par le métro sans correspondance, ligne W, il faut sortir au terminus. Le trajet en métro pour se rendre à l’hôpital, depuis mon immeuble est rapide et très facile. Il suffit d’emprunter la ligne W jusqu’au terminus. Il n’y a pas de correspondance. Néanmoins, je peux tout aussi bien me rendre à l’hôpital à pied par l’Avenue. Large et aérée. Plutôt agréable. Bordée de marronniers. Je peux citer de mémoire tous les commerces dont la vitrine donne sur l’Avenue. Je peux même dire s’ils sont sur la droite ou sur la gauche de l’Avenue. Large et aérée. Plutôt agréable. Bordée de marronniers. Il y’a le disquaire, il y’a le chocolatier, puis le kiosque à tabac. Sur la gauche, la brasserie, avec sa terrasse de tables toutes alignées. Toujours à gauche, le maraîcher. Bien plus loin sur la droite, l’ancien commissariat, transformé en centre de vaccination. C’est à peu près au niveau du commissariat, à gauche, que j’ai vu le banc : le seul, l’unique. Je sais ainsi citer de mémoire tous les commerces dont la vitrine donne sur l’Avenue. Large et aérée. Plutôt agréable. Bordée de marronniers. Je peux aussi les situer, de mémoire, dans l’ordre inverse bien que cela ne soit pas mon chemin. Pour se souvenir du côté, c’est une gymnastique de l’esprit assez simple à exécuter : il suffit d’inverser. Tout ce qui est à droite de l’Avenue se retrouve à gauche et tout ce qui est à gauche de l’Avenue est alors à droite. Facile ! Donc dans l’ordre inverse de mon chemin il y’a l’ancien commissariat qui n’en est plus un, à gauche, il y’a le banc sur la droite (Est-ce bien là que je l’ai vu? Avant ou après le commissariat?), puis, sur la gauche, la brasserie avec sa terrasse dont on a pris soin d’aligner toutes les tables, le maraîcher, le kiosque à tabac, le chocolatier, le disquaire. Le maraicher est un voleur. Je suis pourtant forcé de reconnaitre qu’il vend les meilleures asperges de la ville. Un vrai délice ! C’est bien la seule raison pour laquelle je continue d’aller chez ce maraicher qui est un voleur. Pour ses asperges (surtout les vertes) juste cuites dans l’eau frémissante jusqu’à ce que la lame du couteau à légumes rangé dans le tiroir au-dessus du casserolier de la cuisine s’enfonce dans la chair tendre. Accompagnées d’une sauce mousseline. Ou bien cuites dans l’eau frémissante jusqu’à ce que l’on enfonce la lame du couteau à légumes rangé dans le tiroir au-dessus du casserolier de la cuisine dans la chair tendre. Sans sauce. Natures. Un vrai délice ! Le maraicher est un voleur, il vend ses carottes au kilo trois fois plus chères qu’ailleurs. J’achète mes légumes chez l’épicier juste en bas de chez moi. L’épicier a sa vitrine à l’angle de deux des quatre rues qui ceinturent le bloc d’immeubles. Dans l’angle qui se situe le plus au Sud. Les légumes de l’épicier sont bien moins frais que ceux du maraîcher qui est un voleur car il vend ses carottes au kilo trois fois plus chères qu’ailleurs. J’achète mes légumes chez l’épicier juste en bas de chez moi, avec le bain de bouche mentholé, le shampoing, et tous les autres produits de première nécessité.: le dentifrice, le liquide vaisselle, la lessive, le papier toilette triple épaisseur, le papier pour l’imprimante, le fil dentaire et les post it ( par paquet de deux, plus un offert) qui me servent à noter la liste des courses puis que je colle sur le frigo. Je range les post it en petits tas de deux dans le tiroir se trouvant à ma droite à coté du tiroir au-dessus du casserolier de la cuisine ou est rangé le couteau à légumes. Bien évidemment, si au lieu de me placer face au meuble à tiroirs (et par conséquent dos au frigo), il me prenais l’envie de regarder en direction du frigo (en tournant, dans ce cas précis, le dos au meuble à tiroir) alors le tiroir où je range les post it en petit tas de deux se trouverait à ma gauche toujours à côté du tiroir au-dessus du casserolier de la cuisine ou est rangé le couteau à légumes. Cela découle d’une gymnastique de l’esprit assez simple à exécuter : ce qui est ma droite se place alors sur ma gauche et inversement pour ma gauche qui se retrouve à droite. Facile ! Pourtant, je n’ai encore jamais essayé de chercher les post it rangés dans le tiroir en me positionnant dos aux meuble à tiroirs, sauf dans le cas où c’est précisément le post it qui me sert à noter la liste de courses que je cherche : celui que je colle sur le frigo. A l’instant précis où je prends soin d’éviter la marche du troisième qui est cassée (et que le concierge n’a toujours pas réparée) alors que je descends l’escalier, ma main droite sur la rampe froide ce n’est ni le weekend ni les vacances. Encore moins la saison des asperges.. Je ne vais pas prendre le métro pour me rendre à l’hôpital, au Nord. Je préfère m’y rendre à pieds par l’Avenue. Large et aérée. Plutôt agréable. Bordée de marronniers. Même si cela doit me mettre en retard.. J’ai encore oublié la liste de courses notée sur le post it collé sur la porte du frigo dans la cuisine….
Et si c'était la ville elle même qui définisse notre identité? Reste à essayer de la déplier ou la replier comme les soufflets d'un portefeuille..
J’aime bien ces accumulations/répétitions. Effectivement la ville semble tracer une identité, marquer la personne.
Merci Emmanuel, des accumulations que je me suis beaucoup amusée à faire au risque de m’en faire tomber une sur la tête