Ils étaient revenus filmer dès le mardi. Julie le savait c’était son tour. Elle avait ouvert comme chaque matin la pièce, elle avait posé son sac sous le bureau, elle avait allumé les ordinateurs et sorti les fiches. Les tas de fiches sur le bureau étaient maintenant assez haut, presque un petit mur très droit, très organisé. Julie avait mis sa blouse. Elle avait peut-être fait un peu plus attention que d’habitude. Elle avait posé dans le seul coin libre du bureau le protocole des inventaires : la liste des choses à trouver, à classer et à référencer. Elle n’utilisait plus le protocole depuis des années elle connaissait toutes les suites de chiffres pour tous les objets. Ce matin elle avait aussi posé puis repris la clé. Ils étaient entrés et lui avaient expliqué le projet même si elle savait. Ils n’étaient venus que pour un portrait et étaient restés. Ils avaient eu l’autorisation d’ouvrir toutes les pièces, sous-sol après sous-sol. Julie avait commencé par le médico-légal, pourquoi elle l’anthropologue. Elle avait expliqué ce besoin de remonter les identités. Elle remontait les identités par des objets, ce qu’on retrouve sur les corps non identifiés et sans papier. Dans des sacs, dans des poches, tout ce qui était retrouvé lui revenait. Elle avait parlé des inventaires, de chaque objet qu’elle devait classer et faire parler. Dans tous ces dossiers vides, sans nom, sans pays, sans histoire, aux âges approximatifs elle pouvait ajouter des mots. Elle prenait dans ses mains les objets et remontait les pays, les communautés, les âges, les traversées. Elle voyait les corps, elle comprenait le danger. Si cet objet a été emmené quand on ne peut plus rien prendre c’est qu’il dit ce qu’on est. Du corps il ne reste que son objet. Elle gardait la clé dans sa main elle serrait fort pendant qu’elle parlait. Elle leur disait les longues heures. Elle dépliait sur la table, la grande, chaque nouvelle pochette qu’on lui donnait. D’abord elle étiquetait. Elle plaçait chaque objet dans la petite poche qui lui convenait. Le religieux en haut les chapelets les croix qu’on amenait avec soi ou qui étaient posés aux corps abandonnés. Les photos presque déjà classées. Souvent la famille ou les clubs et les confrères. Les petites trousses de secours aux mêmes boîtes métalliques racontant encore la mer et la traversée. Une petite chose sur un petit coin que Julie apprenait à lire. Les objets de toilette les peignes qui restaient. La pochette se dépliait montrait toutes ses petites poches quand les objets étaient si pressés de dire. Les presque vide étaient dans ses mains silencieuses, protégées. Elle les gardait le plus longtemps possible le dossier serait si rapide à fermer. L’armoire aux objets se remplissait. Chaque matin elle ouvrait, chaque soir elle refermait. Elle parlait vite et les regardait. Ses doigts et la clé s’agrippaient ils se savaient si aimés. Sa main se mouillait, elle mit sa main dans sa blouse. Elle sentit la clé.
mercid e m’avoir permis de mettre mes pas dans les vôtres
merci pour votre lecture Danielle dans les mains de l’anthropologue